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Source : Grimoard - Lettres et mémoires choisi parmi les papiers originaux du Maréchal de Saxe - T.3, p.22

Le Maréchal DE SAXE au Comte D'ARGENSON

Du 6 ou 7 août 1746.

J'ai été hier au quartier de M. le Prince de Conti, au château de Courai, où je n'ai pu traiter avec lui que préliminairement les arrangemens relatifs à l'arrivée du Roi, et ceux de nos opérations.

Il m'a fait l'honneur de venir dîner aujourd'hui chez moi, où nous avons discuté le tout entre lui, M. de Sallières, M. de Cremille, M. du Vernay et moi. Le premier point, qui est l'arrivée du Roi ici, est réglé de manière que nous enverrons des escortes au-devant du Roi d'ici à Valenciennes, dont je fournirai les deux tiers , et M. le Prince de Conti un tiers, supposé que le Roi arrive d'ici au 13 de ce mois.

Quant à l'opération militaire, M. le Prince de Conti est d'opinion que l'on pourroit attaquer les ennemis dans le camp qu'ils occupent, lui, en passant l'Orneau, dans les environs de Mittelmont ou Villers, et qu'en même-temps je les attaquerois, en passant les sources de la Mehaigne, lesquelles contiennent plusieurs ruisseaux dans les environs de Longchamp, et dans le centre par Gimblours.

Les ennemis ont pris la même position que M. de Luxembourg et que Louis XIV, pendant qu'il faisoit le siège de Namur, en appuyant leur gauche à Mazy, et leur droite à Bonef, position qui a été regardée comme inattaquable par M. le Prince d'Orange, quoiqu'il fût supérieur à M. de Luxembourg, et que de puissantes raisons engageoient à l'attaquer, parce que la délivrance de Namur en étoit la récompense.

Comme nous n'avions pas des raisons si pressantes, et que la situation est la même, j'ai cru devoir remontrer à M. le Prince de Conti, que rien ne nous engageoit, pour le moment présent, à une pareille entreprise ; et je lui ai proposé, à mon tour, de marcher par notre gauche, avec les précautions requises en pareil cas, et de longer la Mehaigne, ce qui obligera bientôt les ennemis à faire un mouvement par leur droite, pour la longer pareillement.

Par cette position, nous leur pouvons couper les subsistances qu'ils tirent par la Meuse, de Huy, Liége et Maestricht, où ils ont tous leurs dépôts et leurs fours ; comme dans cette position ils ne sauroient nous attaquer, nous sommes les maîtres de faire tel détachement qu'il nous plaît, et tirer avec aisance nos subsistances de Bruxelles et de Louvain par Tirlemont à l'armée, en remontant la petite Gete.

Il y a tout lieu de croire que, par cette position, nous leur ferons bientôt abandonner la Mehaigne, faute de subsistances.

M. le Prince de Conti ne disconvient pas de ce fait ; mais il allègue que les ennemis prendront un des deux partis que je vais dire : 1°. qu'ils passeront la Meuse, et qu'ils descendront jusqu'à Maestricht, ou qu'ils se rejetteront par le pays de Luxembourg sur notre frontière ; à quoi j'ai repliqué que rien ne pouvait nous arriver de plus avantageux, parce que, s'ils descendaient la rive droite de la Meuse, ils nous abandonnoient Namur, dont nous pouvions faire le siège à notre aise, et que, s'ils se portoient à Luxembourg, ce que je ne pouvois croire, ils y périroient faute de subsistances ; mais que si le cas arrivoit, il étoit à même de passer la Meuse aussi, et de les suivre, en côtoyant nos magasins, où il ne manqueroit de rien, et qu'alors c'étoit à moi de faire le siège de Namur, dont j'espérois venir à bout.

Que si enfin les ennemis prenaient un troisième parti, et se séparaient en poussant 20,000 hommes vers le Luxembourg, que la chose étoit encore la même, parce qu'en me laissant une partie de ses troupes, je me chargerois encore de faire tête aux ennemis restans, et de faire le siège de Namur.

Sur quoi nous sommes convenus que nous marcherions le 14, et que S. M. pourroit arriver jusqu'à la journée du 13. Il faudroit qu'elle prît sa route par Lille, Gand, Bruxelles, Louvain, Tirlemont, et que d'ici à ce temps-là nous pourrions être informés des intentions du Roi.

J'ai cependant pris tous mes arrangemens avec M. du Verney, pour toutes nos subsistances, qui se montent à 200,000 rations par jour, ce qui demandé des préparatifs considérables.

M. du Verney auroit pu être prêt pour le 10, mais M. le Prince de Conti a insisté pour que notre mouvement ne se fît que le 14. Il est à craindre que dans cet espace de temps, les ennemis n'augmentent leurs moyens de subsistances, qui pourroient leur fournir la faculté de rester plus long-temps derrière la Mehaigne, et ils ont, pour cet effet, rassemblé tous les bateaux qu'ils ont pu trouver sur la Meuse, afin de faire remonter des farines de Maestricht : l'époque de notre marche au 14 ne peut pas être variée, parce que les premiers convois pour l'armée de M. le Prince de Conti doivent partir le même jour 14, passant par Bruxelles, Louvain et Tirlemont, pour se trouver le 17 à l'armée, qui est le jour que le pain lui sera dû.

Les détachemens de M. d'Armentières et de M. de Froulai n'ont rien trouvé sur mes derrières ; tous les hussards et compagnies franches, répandus dans cette partie, se sont sauvés vers la Meuse ; mes détachemens ont été cette nuit jusques à Tirlemont et Louvain, ils reviendront demain en côtoyant la Dille, et la laissant à droite ; mais les ennemis, craignant pour la Meuse, ont poussé aujourd'hui un gros détachement de troupes réglées sur Hasselt, pour observer les mouvemens des miens.

Les ennemis manquent de pain ; la ration vaut dans leur camp 40 sols.

Signé le Maréchal DE SAXE

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