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Source :
Campagne de Monsieur le Maréchal Duc de Noailles en Allemagne, l’an 1743 - Amsterdam, 1755 ; p. 237-241

 

Mr. de Savary à Mr. d’Argenson

Seligenstadt le 28 Juin 1743.

Je n’entrerai pas dans un grand détail de la Journée d’hier ; je n’y mêlerai aucune des réflexions que chacun fait à sa façon ; ce qu’il y a de certain c’est que nôtre infanterie a passé le Mein sur un pont, qui était construit, il y a quelques jours, à Seligenstadt, où est actuellement le quartier général. Une partie de la cavalerie passa au même endroit, & le reste, qui était la plus considérable, à différents gués ; nous nous avançâmes en remontant le Mein, & après avoir passé deux villages, qui sont le long de cette rivière, nous nous mîmes en bataille au-dessus de ce dernier village, ayant à nôtre droite le Mein, & à nôtre gauche une montagne, au bas de laquelle il y a un bois, qui était en tête de nôtre gauche. L’affaire commença par une canonnade de nôtre part, qui incommoda fort les ennemis, d’autant que nous avions une batterie de l’autre côté du Mein, qui foudroyait leur gauche, & une autre avec nous, qui tirait sur ceux qui étaient déjà en bataille, & qui portait jusque dans le bois où était leur droite, le terrain étant étroit dans cet endroit tant pour eux que pour nous ; cette canonnade dura depuis environ 10 heures du matin jusqu’à plus d’une heure ; mais la Maison du Roi s’étant avancée & ayant chargé, avec la valeur ordinaire, une partie de la cavalerie anglaise la culbuta, ou plutôt l’enfonça, car elle alla se rallier derrière l’infanterie, qui aussitôt fit une décharge furieuse sur elle, en tua & en blessa beaucoup ; mais une autre décharge d’infanterie, qui était dans un petit bois, ayant totalement effarouché les chevaux, les cavaliers n’en furent plus les maîtres ; plusieurs furent emportés, quelques-uns du côté du Mein, d’autres en arrière ; mais enfin ce qui resta se rallia & voulait charger ; mais on les en empêcha ; le régiment des Gardes, qui s’était avancé au-delà de la ligne, essuya sa bonne part des décharges dont j’ai parlé, & ayant ordre de ne point tirer, fût ébranlé ; il se rallia cependant deux fois ; mais ayant été coupé à sa gauche par l’infanterie ennemie, ce régiment fut acculé au Mein, ayant le dernier rang dans cette rivière ; une décharge, jointe à du canon, les obligea de repasser cette rivière comme ils purent ; il y en a eu cependant peu de noyés, & la perte des officiers, qui ont été tués ou blessés, est beaucoup plus considérable, proportion gardée, que celle des soldats, qui ne l’est pas à beaucoup près autant que l’on avait cru d’abord ; on présume que le nombre des morts est à-peu-près égal des deux côtés ; mais je crois que nous avons plus de blessés du nôtre. Je prendrai la liberté de vous faire remarquer, que nous étions obligés, pour aller à l’ennemi, de passer à travers du dernier village, & à côté à gauche par un seul chemin, de façon que lorsque l’action a commencé, il n’y avait que sept brigades d’infanterie, la Maison du Roi, quelques régiments de cavalerie & de dragons ; on ne peut pas dire que nos troupes se soient mal comportées ; mais il n’est pas possible que si peu de monde puisse résister au feu de 25000 hommes d’infanterie retranchée dans des bois ; car on ne voyait qu’une partie de leur armée, environ dans le centre. Enfin, nous nous sommes retirés en très bon ordre, une grande partie de nos troupes n’ayant point donné. Les ennemis sont demeurés maîtres du champ de bataille ; ils y étaient encore le matin à 11 heures, ou du moins une partie, & se sont totalement retirés ; on assûre que leur avant-garde est actuellement à plus de 5 lieues en descendant le Mein ; nous pourrions bien décamper cette nuit pour le descendre aussi de nôtre côté ; ce qu’il y a de surprenant est qu’actuellement on nous rapporte des blessés de la Maison du Roi, qui ont leurs habits ; ces gens là n’ont pas laissé que d’abandonner leurs soldats, craignant une seconde attaque aujourd’hui, & sont demeurés en bataille en deçà de l’endroit où s’est passé la principale action, c’est-à-dire entre les deux villages, dans une petite plaine, ayant derrière eux la montagne, & faisant face au Mein. Voilà, Monseigneur, ce que j’ai pu remarquer, & ce que je vous écris très à la hâte, descendant de cheval, ayant été commandé ce matin pour aller chercher une quarantaine de soldats tant prisonniers de guerre que déserteurs, que nous avons laissés à Stockstadt, nôtre ancien quartier général.

Nous sommes encore plus fort que les ennemis, & il nous vient de nouvelles troupes.

J’ai l’honneur &c.

 

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