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Source :
Colin : "Les campagnes du maréchal de Saxe"

 

Mémoire.

 

Le projet de guerre en Flandre pour la campagne de 1745 devant nécessairement être relatif aux opérations projetées pour les autres armées, surtout avec ,elle destinée pour la Westphalie, je me trouve dans la nécessité d'embrasser dans ce mémoire au moins ce qui regarde la position de cette armée de Westphalie.

Le Roi a trop de troupes employées sur la frontière d'Italie, en Bavière et en Souabe, pour que les armées de Flandre et de Westphalie puissent toutes deux agir offensivement. Nos forces ainsi partagées pour faire une guerre offensive ne seraient nulle part suffisantes vis-à-vis des ennemis, qui peuvent se rassembler plus aisément que nos deux armées de Flandre et du Bas-Rhin ne pourraient ou se joindre ou s'envoyer des secours. Maîtres de toutes les places de la Meuse, les ennemis peuvent passer d'une rive à l'autre de cette rivière toutes les fois qu'il leur plaira. Ils ont derrière eux la Hollande pour fournir à tous leurs besoin. nous n'aurions les nôtres qu'avec grande peine entre la Meuse et le Rhin. à cause de Namur et de Luxembourg, qui se troueraient entre os troupes et l'armée du Rhin et nos frontières. Nous aurions peut-être à cause de Wesel et de Düsseldorf, plus de facilité qu'eux à passer d'un côté à l'autre du bas Rhin, mais seulement dans cette partie. Mous ne pouvons jamais les empêcher de le passer au-dessous ; et â, cela prés les .mêmes difficultés se trouveraient toujours contre nous, soit qu'il fallût faire passer des renforts de l'armée de Flandre à celle du Bas-Rhin, soit qu'il fallût les faire venir du bas Rhin en Flandre ; et delà on peut conclure que la relation qu'il doit y avoir entre chacune des deux armées ne doit être que dans le plan de la campagne et la combinaison des opérations. Chacune doit être formée et composée à demeure des troupes qu'elle doit avoir et avec lesquelles elle doit agir. Il est nécessaire d'examiner ensuite laquelle de ces deux armées doit agir offensivement, laquelle défensivement. Je n'entends pas par le mot ,de défensivement, une défensive oisive ou paresseuses

Le but d'une guerre est ordinairement plus politique que militaire, mais le but de chaque campagne et de chaque opération doit être de se procurer des avantages et de faire tort à son ennemi.

Le but politique de cette campagne doit être, selon moi, de diviser les forces des ennemis en Flandre, de donner des inquiétudes aux Hollandais sur la Gueldre, au roi d'Angleterre pour son électorat de Hanovre ; de les empêcher d'augmenter le nombre de leurs auxiliaires en Allemagne ; de les détourner du projet de s'unir aux Saxons pour occuper le roi de Prusse au point de l'obliger à un accommodement, ou du moins de l'empêcher de tourner ses plus grandes forces contre la reine de Hongrie.

Il parait que c'est là la destination de l'armée du Bas-Rhin.

Mais cette opération ne doit pas se faire par des efforts qui nous privent d'en faire de plus utiles et de plus solides pour l'avantage de la monarchie. La conduite de l'armée du. Bas-Rhin ne doit être qu'un jeu qui tienne en suspens et rende inutiles les forces détachées de l'armée des ennemis. Aussi l'effort doit se faire de notre part en Flandre. En agir autrement serait perdre de vue notre objet. Nous ruinerions sans ressource l'électorat de Hanovre, que la reine de Hongrie n'y perdrait pas un pouce de terrain.

Quant aux vues subséquentes de notre avantage journalier et du désavantage de nos ennemis, je ne crois pas qu'un plus grand mal à lui faire sans aucun profit pour nous, doive avoir la préférence sur un bien réel ou du moins fort apparent que nous pouvons nous procurer avec une moindre perte pour eux.

C'est à ce qu'il me semble le cas où nous nous trouvons.

Quand nous nous emparerions de l'électorat de Hanovre, il nous faudrait une armée pour le garder tant que la guerre durera. Elles sont fort chères à entretenir dès qu'elles sont au delà de nos frontières. A la paix, si avantageuse qu'elle fût, il ne nous en resterait rien, pas le moindre dédommagement. Le roi d'Angleterre n'a rien à nous offrir qui soit à notre bienséance ; du côté de la Flandre il n'en est pas de même : nous y pouvons faire des conquêtes. Elles ne nous resteront pas toutes, mais nous pouvons espérer d'en garder quelqu'une, et ce qui nous en restera sera autant de diminué aux possessions de la maison d'Autriche.

De plus, nous y vivons à ses dépens, et la guerre n'est pas d'ailleurs en Flandre aussi dispendieuse pour l'État qu'elle l'est sur les autres frontières.

Ce n'est pas tout, il est difficile de faire en Flandre une guerre purement défensive ; et cela par l'étendue de cette frontière, dont la ligne est toujours pour nous beaucoup plus longue que pour les ennemis, par la facilité d'y faire des mouvements, au moyen desquels les ennemis, s'ils sont supérieurs, peuvent pénétrer si les places ne sont pas pourvues de garnisons fortes, ce qui demande un grand nombre de troupes pour les garder.

Je pense donc que c'est en Flandre qu'il faut agir offensivement.

Avant de discuter ce qu'il peut avoir à y faire, je crois devoir répondre à deux objections que je pense devoir prévenir.

On objectera qu'il est inutile d'avoir une armée sur le bas Rhin pour ne rien faire et y vivre fort chèrement. Je ne conviens pas qu'elle y soit dans l'inaction, quoiqu'elle n'y fasse point de guerre offensive. Est-ce ne rien faire que d'obliger les Hanovriens à quitter la Flandre pour aller chez eux ? D'obliger, l'électeur de Cologne à retirer les troupes qu'il s'est engagé de donner au roi d'Angleterre ? D'obliger les Hollandais à ne point dégarnir les places de la Meuse et du bas Rhin ? De priver les Saxons des secours dont ils se flattent pour leur pays, et de les laisser dans l'inquiétude que leur cause le corps qui est sous Magdeburg s'ils s'éloignent de la Saxe pour suivre la fortune de l'armée autrichienne ?

L'armée du Roi sur le bas Rhin peut remplir tous ces objets si elle est conduite avec habileté, et d'autres encore relatifs aux cercles de la Souabe et la Franconie. Wesel et Düsseldorf nous assurent la liberté des passages sur le Rhin. Cette armée peut y vivre aux dépens de l'électeur de Cologne s'il continue à fournir des troupes au roi d'Angleterre. Cette armée peut vivre aux dépens des possessions de ce prince, de celle des évêchés de Munster, d'Osnabrück et de Paderborn qui, sans être abondants, peuvent cependant nous fournir des subsistances pour une petite armée.

On pourra même aller plus loin si les ennemis n'ont pas les moyens d’assembler dans cette partie des forces supérieures aux nôtres. Si, au lieu de cela, ces troupes sont assez fortes pour se tenir en deçà du Weser nous avons la ressource de l'électorat de Cologne, dont la partie la plus considérable est située à la gauche du Rhin.

Il y a encore le duché de Limbourg appartenant à la reine de Hongrie, pays extrêmement gras et abondant, qui peut nous être de ressource. Il est à la vérité plus en arrière et s'éloigne davantage du Rhin, mais il est des circonstances où il peut ne nous être pas moins utile, soit que la force supérieure nous oblige à nous rapprocher de Juliers, soit que, plus libres dans nos mouvements, nous voulions cantonner notre cavalerie dans un pays plus propre qu'aucun autre à la remettre et à l'engraisser.

Je ne parle pas de la seconde objection que l'on pourrait faire sur ce que l'offensive en Flandre obligera les Hollandais à se déclarer contre nous, et cette considération deviendra moindre lorsque nous aurons un corps de troupes considérable dans le voisinage de la Gueldre, et qu'ils se verront dans la nécessité de séparer leurs troupes pour y faire face, et je ne sais si ce serait un grand mal qu'ils se déclarassent contre nous, Le commerce tranquille de toute l'Europe qu'ils font à présent leur fournit des moyens contre nous, et, par leurs dernières délibérations qu'ils tiennent secrètes autant qu'ils peuvent, ils ont assuré les ministres d'Angleterre et de la reine de Hongrie que quand même ils se déclareraient, ils ne pourraient fournir plus de vingt vaisseaux de guerre qu'ils fournissent déjà à l'Angleterre, ni plus de troupes pour les armées.

Ces considérations et plusieurs autres me déterminent sur l'offensive en Flandre. Il faut espérer que les affaires de Bavière se soutiendront au moins dans l'équilibre, et cela ne peut être autrement si le roi de Prusse persiste dans l'alliance de l'Empereur, car sans cela notre armée du Bas-Rhin serait obligée de revenir et alors tout l'effort des ennemis se ferait en Flandre et sur le Rhin. C'est pourquoi il faut diriger les opérations de la Flandre de manière à nous être avantageuses, soit que nous avons le loisir de faire des conquêtes dans le reste de la campagne, soit que nous ayons à nous défendre. Y prévenir l'ennemi en campagne est un point absolument nécessaire et aisé.

Trois places se présentent en même temps à assiéger : Charleroi, Mons et Tournai. Il faut voir quels sont les avantages de ces conquêtes.

Charleroi couvre notre pays d'entre Sambre et Meuse qui est fort découvert et nous donne des passages sur la Sambre ; mais les passages ne nous manquent pas sur cette rivière, et celui-ci ne nous mène pas loin au delà. Nous ne pouvons pas nous établir entre Namur et Mons.

Mons par sa grandeur pourrait servir d'un lieu de dépôt, et de plus si nous voulions établir des contributions, la prise de cette place nous assurerait toutes celles du Brabant. Mais ce siège est considérable et par conséquent sera long. Il ne sera pas aisé de le commencer de bonne heure par la difficulté des chemins dans les environs dans une saison où l'on ne peut encore envoyer qu'au sel. Ce ne sont pas encore les plus grands inconvénients de ce siège, de même que de celui de Charleroi. Un plus considérable est l'obligation de laisser pendant ce temps un corps de troupes du côté de la mer pour assurer cette partie qui fait la jalousie des Anglais et qui courrait risque d'être attaquée par eux.

Le siège de Tournai n'a pas les mêmes inconvénients. Je conviens que, à cause de la citadelle, il est plus considérable, mais l'on peut, à ce que je crois, se dispenser de l'attaquer. Elle est 'située en deçà de l'Escaut et, par le moyen de l'inondation de cette rivière, elle se trouve bloquée après la prise de la ville dont la garnison et celle de Lille peuvent l'empêcher de communiquer avec Oudenarde. Je crois même qu'on peut lui ôter l'eau par le moyen de certaines carrières qui sont dans le voisinage.

Quant au siège de la ville, il s'y trouve des aisances que l'on ne rencontrerait pas ailleurs dans la primeur de la saison. Plusieurs belles chaussées pavées conduisent de nos frontières à Tournai. L'Escaut, la Scarpe, la Deule et la Lys fournissent une navigation pour les fourrages, vivres et munitions à Condé, Mortagne et Lille qui de là peuvent, par les chaussées, se transporter fort aisément dans l'armée qui en fera le siège.

Cette conquête nous donnera de plus grands avantages qu'aucune autre. Elle nous facilitera celle d'Oudenarde et de Gand, qui nous assure toute la gauche de l'Escaut jusqu'à la mer. Ostende devient inutile aux Anglais. Si nous gardons cette position, les ennemis ne sauraient établir des quartiers que derrière la Dendre, et nous donnerions une telle jalousie aux alliés l'hiver d'ensuite, et multiplierions si fort leurs dépenses, qu'ils pourvoiront mal à tant d'objets. Car il faut qu'ils songent à Ostende, Anvers, Bruxelles, toutes les petites places de la Dendre, et cependant ils n'oseront dégarnir Mons. En mettant 15 ou 10 bataillons à Gand pendant l'hiver pour tenir la tête de nos quartier, nous pouvons mettre 40 escadrons dans l'enceinte que renferme le canal qui va de Gand à Bruges et à l'Escaut. Nous avons tout le pays de Waes devant nous que nous pouvons faire contribuer pendant l'hiver jusqu'à Anvers et Bruxelles, et toute la partie située entre la Dendre et l'Escaut. Notre communication de Lille et de Tournai à Gand est. Aisée et couverte par l'Escaut, et se fait au moyen des belles chaussées et de la Lys, avantage qu'aucune autre position dans ce pays ne saurait nous procurer. Et enfin les choses dans cet état, il faut bien. que de manière ou d'autre la citadelle de Tournai tombe avec la garnison pendant le courant de l'hiver prochain.

Ces opérations pour la campagne de 1745 me paraissent aisées, sûres et commodes pour tous les moyens, et nous assurent une position imposante pour l'hiver suivant, qui nous donnera les moyens de faire miner Oudenarde pour le faire sauter lorsqu'on le jugera à propos.

Il peut arriver que les ennemis ne nous laisseront pas faire tranquillement cette conquête. Mais nous ne devons pas croire qu'ils voient les autres avec plus d'indigence. Ainsi toutes choses étant égales sur cet article, nous devons chercher à nous procurer notre plus grand avantage., Je croie qu'il y en a plus à la prise de Tournai qu'à celle des autres places, et pour cela examinons tout ce qui peut nous arriver.

Si les ennemis étaient supérieurs à nous, ce qui ne saurait être, quelque chose qu'il arrive, qu'à la fin de juin, nous aurions pris Tournai avant ce temps-là, nous nous serions étendus par nos fourrages jusqu'à Oudenarde et Mons et, s'il survient des forces supérieures ou que les circonstances ne permettent de rien hasarder, nous repasserons l'Escaut ; et la position que j'ai prise cette année auprès de Courtrai nous procurera, aux mêmes conditions, des subsistances abondantes sur le pays ennemi, ce qui nous fera encore une campagne fort honnête et qui pourra se compter pour utile : ayant pris Tournai, ayant vécu la campagne aux dépens des ennemis.

Les entreprises de Mons et de Charleroi ne peuvent nous rien promettre de semblable; Mons pris nous donne à vivre dans le Brabant, mais rien de plus, et encore ne faudrait-il pas nous éloigner beaucoup de cette conquête, parce qu'ayant été obligés de laisser une partie de nos forces du côté de la mer, les ennemis aussi forts que nous rendraient nos subsistances plus difficiles. Je veux même que nous les battions, cela ne nous mènera pas beaucoup plus loin, et il faudra toujours ou ramener nos troupes dans notre pays pour y passer l'hiver, ou faire encore de nouveaux sièges qui ne nous donneront que des garnisons à établir. Si, au contraire, nous étions battus, nous n'avons pas de ce côté autant de places que de l'autre pour nous y relever. Toutes ces places sont petites et nullement en état de procurer à une armée battue toutes les ressources dont elle a besoin en pareil cas.

Quant à l'entreprise de Charleroi, je n'en parle plus. L'avantage de prendre cette place fût-il suivi des succès les plus heureux, ne nous donnerait jamais qu'un peu plus d'avantages et de facilités pour faire d'autres sièges.

Toutes ces réflexions me décident pour entreprendre sur Tournai de préférence aux autres places, et, conséquemment, à porter la guerre sur l'Escaut. Voyons à présent ce que je crois qu'il faut de préparatifs pour l'y faire avec succès.

Premièrement : 120 bataillons de campagne et 50 bataillons de milice, afin d'en avoir toujours 100 en campagne et le surplus dans les places ; cela se peut, le Roi n'ayant point de guerre sur le Rhin.

Pour réussir dans une entreprise il faut être supérieur à son ennemi. Il avait cette année 70 bataillons en campagne. Quand les hanovriens s'en iraient chez eux, ce serait une diminution de 13 bataillons, mais il n'est pas douteux que les Anglais et les Hollandais ne les remplaceront, ainsi il faut compter qu'ils auront 70 bataillons plus forts que les nôtres et 440 escadrons.

Quant à nous, nous avions dans les garnisons, cette année, 56 bataillons dont 10 de campagne, 10 nouveaux et le surplus de milice. Ce nombre ne suffit réellement pas pour monter la garde dans les places de la frontière.

J'en demande 20 de campagne pour les mettre à portée des places qui seront le plus en risque d'être investies, et à faire une diversion lorsque notre armée sera occupée de quelque expédition.

Si nous étions assez heureux pour les bien battre, et j'espère qu'ils le seront s'ils s'y commettent, nous retirerions promptement ces 20 bataillons, et leur joignant quelques autres troupes de l'armée, nous serions à même, sans perte de temps, de profiter de leur désordre et de faire plusieurs entreprises à la fois.

Nous avions cette année suffisamment de cavalerie, en y joignant les quatrièmes escadrons. Ce qu'il nous faudrait de plus serait des troupes légères. On ne saurait trop en avoir dans ce pays-ci, lorsqu'on sait en faire usage. Les ennemis en avaient cette année 12 escadrons. Les Hollandais en prennent encore 1200 hommes à leur solde, ce qui fera au moins 3,000 hommes. Ils désoleront notre armée si nous ne prenons pas la supériorité sur eux dans ce genre de guerre. Si une fois nous l'avons, tout leur est difficile, et tout nous deviendra aisé ; fourrages, marches, convois, nous serons tout à notre aise. Nous conserverons nos troupes ; et les avantages qui résultent de cette supériorité que nous donne la cavalerie légère sont si grands qu'ils donnent l'avantage même à des armées inférieures. Les Anglais l'ont si bien senti l'année 1743, quoique M. le maréchal de Noailles n'eût avec lui, sur le Mein, que 400 hussards, qu'ils ont demandé au prince Charles avec insistance les trois régiments de hussards qui sont actuellement en. Flandre, pour se délivrer de la persécution de ces hussards.

Je n'entrerai point ici dans les détails relatifs à, ce projet de campagne ; il faut auparavant savoir s'il sera agréé ; et on travaillera ensuite à proposer les moyens subalternes.

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