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CHAPITRE IV
ARTILLERIE

 

Autrefois, on appelait artillerie, l'ensemble des machines de guerre dont une armée faisait usage dans les camps, les places fortes, les batailles, les sièges, les marches. Les officiers qui s'occupaient de fabriquer, d'inventer, de réparer et même d'employer à la guerre ces machines ou engins, formaient le corps de l'artillerie de France.

Un grand officier de la couronne, appelé « grand maître des arbalétriers », plus tard grand maître de l'artillerie, était à la tête de ce service.

Il avait sous ses ordres de nombreux officiers que seul il nommait, employait ou révoquait, et dont seul il était responsable envers le roi. Ces officiers étaient donc soustraits à l'autorité du ministre de la guerre.

Outre la conservation et l'emploi des machines de guerre. le grand maître de l'artillerie avait dans ses attributions la surveillance de la fabrication de la poudre et de la fonderie des canons. Pour remplir convenablement. ces multiples obligations. il lui fallait le concours d'hommes de métier, instruits dans la théorie autant que dans la pratique.

Les arsenaux établis dans les villes de fonderie, Paris, Lyon, Douai, Strasbourg, Perpignan, les manufactures d'armes portatives de Maubeuge, Charleville, Saint-Étienne, les fabriques de poudre, etc., exigeant un nombreux personnel. Tirer le canon, employer la poudre de mine, étaient autrefois un métier aussi périlleux que difficile avec des engins primitifs. Il y avait donc des officiers ingénieurs pour guider les soldats bombardiers, canonniers et mineurs. Ces soldats, formés en compagnies, marchaient avec le grand parc. Ces hommes, ce matériel. entraient en campagne, sous le commandement d'un délégué du grand maître, appelé « lieutenant général d'artillerie » qui se tenait à la disposition du général en chef.

Cette organisation complète quoique très simple subsista jusqu'au XVIIIe siècle et disparut alors par suite de fusions et de transformations plus ou moins heureuses.

Création du régiment royal artillerie.

La garde du grand parc dans les années de Louis XIII et Louis XIV était généralement confiée aux régiments suisses. En 1670, Louvois n'ayant aucun régiment suisse pour garder le matériel, créa un corps spécial formé de 22 compagnies de fusiliers tirées des vieux régiments d'infanterie alors sur pied, sous le nom de « régiment de fusiliers » pour la garde de l'artillerie. Mais aux armées de 1671 à 1692, ce corps servit comme un régiment d'infanterie : il appartenait au roi et n'était pas vendu ; son colonel lieutenant était le grand maître de l'artillerie. Quelques compagnies anciennes de canonniers, de mineurs y furent incorporées, et peu à peu les soldats furent employés comme canonniers bombardiers et artificiers. Les officiers du grand maître reçurent commission d'officier de troupe et on régla le rang des officiers du corps et ceux du régiment.

Le grade de   lieutenant général d'artillerie fut équivalent à         colonel d'infanterie ;

        —          lieutenant provincial                            —            colonel ;

        —          commissaire provincial                       —            lieutenant-colonel ;

        —          commissaire ordinaire                        —            capitaine ;

        —          commissaire extraordinaire                 —            lieutenant ;

        —          officier pointeur                                  —            sous-lieutenant.

Dès lors, aussi, les officiers de l'artillerie purent recevoir un grade dans les troupes et devenir brigadiers, maréchaux de camp ou lieutenants généraux d'armée.

Ce ne fut qu'avec bien de la peine que la fusion se fit entre les officiers de ces deux provenances. Il fallut du temps pour employer utilement dans le régiment et dans les places et manufactures, les mêmes officiers. Pour vaincre plus facilement les résistances, la charge de grand maître fut donnée au duc du Maine et, plus tard, en survivance, au comte d'Eu. Pour justifier ces résistances, il ne faut pas oublier que, dans son service habituel, l'artillerie avait la conservation des arsenaux, la fabrication des engins de guerre et tout le service des ponts et chaussées de la France.

Le commandement des troupes exige des qualités particulièrement militaires. Les services d'ingénieurs demandent d'autres connaissances spéciales, techniques. Les officiers de troupes peuvent être assez instruits pour employer intelligemment les engins de guerre, mais la bonne fabrication des canons, de la poudre, des affûts, la construction des ponts, des routes, sont d'un art spécial auquel les officiers de troupes sont complètement étrangers. De là cette résistance justifiable qui dura 50 ans.

Le corps de l'artillerie finit par se soumettre quand tous ses officiers se furent recrutés dans les écoles établies auprès des bataillons du régiment. La réorganisation du 5 fév. 1720 conservait cinq bataillons s'administrant isolément, commandés chacun par un lieutenant-colonel. A chacun d'eux était juxtaposée une école théorique et pratique où étaient instruits, les commissaires extraordinaires, les officiers pointeurs et les surnuméraires admis seulement après un examen, qui comprenait l'arithmétique, l'algèbre, la géométrie, les principes de la mécanique, le dessin. Un membre de l'Académie des sciences était toujours parmi les examinateurs. Chacune de ces écoles servait aux exercices des 5 bataillons formé de 5 compagnies de canonniers, 2 de bombardiers, 1 de sapeurs et, en outre, 1 compagnie de mineurs et 1 d'ouvriers d'état. Elles étaient établies à la Fère, Metz, Strasbourg, Grenoble et Besançon, autrefois Perpignan.

Les compagnies appartenaient aux capitaines titulaires, car jamais le, roi ne les leur avait achetées, l'engagement s'y faisait comme dans l'infanterie. Le matériel seul appartenait au roi. La solde, variable selon la position, était ainsi réglée :

La France était divisée en 12 départements d'artillerie dirigés chacun par un lieutenant général d'artillerie. Chaque département était subdivisé entre les lieutenants provinciaux ayant la surveillance des manufactures, des arsenaux, des places de sa juridiction.

Ingénieurs des fortifications de France.

A côté du corps de l'artillerie et en dehors de lui, existait un corps, appelé des officiers ingénieurs du roi, dont la fonction était de fortifier les places, suivant les projets arrêtés tous les ans par le roi en son conseil et d'avoir soin des réparations à faire aux fortifications et bâtiments. En temps de guerre, ces ingénieurs, souvent officiers dans les régiments d'infanterie, étaient réunis en brigades de huit, et mis à la disposition du général en chef pour tracer les plans des travaux à faire. 1 directeur général des fortifications, 23 directeurs particuliers assistés de 330 ingénieurs en chef ou ordinaires veillaient ainsi au bon entretien des places de guerre et assuraient le service en campagne.

La spécialité de leurs fonctions les mettait en contact journalier et en rivalité constante avec les officiers du corps royal de l'artillerie de France. En 1755, les ingénieurs des fortifications furent incorporés dans l'artillerie, la charge du grand maître fut supprimée, et le ministre de la guerre fut investi de son autorité. Les écoles régimentaires de l'artillerie furent dès lors chargées de recruter les ingénieurs des fortifications, les officiers du corps d'artillerie et ceux du régiment. Pour cela, les cadets, entretenus dans les compagnies d'artillerie, furent réunis après examen à l'école de la Fère, et, après deux années d'étude, devaient être envoyés à l'école de Mézières spéciale aux ingénieurs, les autres retournant dans les bataillons d'artillerie. On était en guerre, la confusion se mit bientôt dans tous les services, et la rivalité entre le génie et l'artillerie s'accentua. Les hommes instruits, intelligents, employés dans ces deux corps, sentaient les défauts des institutions, en souffraient et n'avaient aucun pouvoir pour les faire modifier.

Le rôle militaire des ingénieurs des fortifications était restreint au tracé des plans. C'étaient réellement des architectes militaires. Le rôle utilitaire des artilleurs devait se borner à l'attaque et à la défense des places et fortifications permanentes. Mais chacun voulut étendre sa sphère d'action. L'ingénieur voulut défendre les places qu'il avait fortifiées et l'artilleur voulut monopoliser le service du canon ; pour cela il dut se transformer en officier de bataille rangée, ce qui était contraire à sa fonction normale. De même que l'on a vu les énormes mousquets employés au XVIe siècle par les artilleurs dans les places et les sièges, passer, dès qu'ils furent plus portatifs et plus maniables, dans les mains des troupes d'infanterie ; de même, au XVIIIe siècle, nous voyons les lourds canons, autrefois employés par l'artillerie contre les murailles, raccourcis, allégés, au point de pouvoir être traînés à bras, employés en bataille, hors des redoutes et retranchements, et servis par des soldats d'infanterie. Par l'ordonnance de 1757, une pièce, dite à la Suédoise, ne pesant guère plus de 600 livres, fut donnée à chaque bataillon d'infanterie, et employée avec succès pendant toute la guerre de Sept ans. A la paix, la réorganisation générale devait permettre au corps de l'artillerie de prendre une extension considérable pour subvenir aux exigences du double service de campagne et de siège. Les gens compétents décideront si cette organisation fut profitable et d'une bonne économie. Quoi qu'il en soit. M. de Gribeauval l'a établie, Napoléon l'a perfectionnée et toutes les armées européennes l'ont adoptée.

Les mineurs, les sapeurs, faisaient autrefois partie du corps de l'artillerie et, bien naturellement, puisque ces ouvriers militaires n'employaient leur art que dans les sièges.

En 1759, la séparation de l'artillerie et du génie, après quatre ans d'union, fit retirer à l'artillerie les compagnies de mineurs pour les mettre sous l'autorité des ingénieurs des fortifications qui, ainsi pour la première fois, eurent une troupe spéciale sous leur direction. Cette lutte entre l'artillerie et le génie, pour accaparer les services jumeaux, dure encore de nos jours. Le maréchal de Belle-Isle avait fait cette concession aux ingénieurs. Choiseul la retira et enfin, en 1776, les ingénieurs obtinrent la création de 2 bataillons de pionniers mis sous leurs ordres avec un matériel considérable qui faisait double emploi avec celui de l'artillerie de parc ou de siège. Les ingénieurs tendaient donc à se substituer aux artilleurs dans l'attaque et la défense des places, sauf pour l'emploi du canon.

En 1765, suivant les conseils de Gribeauval, l'artillerie reçut une organisation nouvelle, et ne compta plus dans l'infanterie que pour le rang de préséance.

Les 7 bataillons, alors existants, formèrent 7 régiments distincts, chacun à 2 bataillons, formés de 7 compagnies de canonniers, 2 de bombardiers, et 1 de sapeurs. En outre des 2 bataillons, il y avait la compagnie de mineurs, et celle des ouvriers d'état. Le régiment ainsi constitué devait fournir aux armées tous les canonniers nécessaires à tous les services. Le matériel lui-même fut renouvelé et, à sa mort, en 1789, le général de Gribeauval laissa une artillerie parfaitement outillée, qui permit aux armées françaises de tenir tête à l'Europe coalisée.

Recrutement. – Uniforme.

Jusqu'en 1758, le recrutement des compagnies du régiment se fit par les soins et au nom, des capitaines moyennant 30 livres pour 6 ans, données à un homme vigoureux de 5 pieds 4 pouces aux conditions générales de l'infanterie, avec une solde un peu plus élevée.

A cette époque, les capitaines, absorbés par les soins de la guerre, obtinrent que le ministre fournirait les recrues nécessaires et, en 1763, la réorganisation de l'armée, appliquée à l'artillerie, supprima la vénalité de la compagnie ; le roi engagea les hommes pour 8 ans moyennant 120 livres, savoir : 40 livres pour l'homme, 40 livres de pourboire, cabaret et cocarde pour le recruteur, 22 livres de première mise pour le trousseau et 18 livres pour l'habillement. Comme ailleurs, les officiers de compagnie avaient l'obligation, à la fin du semestre, de ramener deux recrues, sous peine de 50 livres d'amende. L'âge d'admission fut fixé de 17 à 35 ans, la taille à 5 pieds 3 pouces.

Les conditions générales d'administration furent établies pour l'artillerie comme pour l'infanterie avec les marques distinctives du grade semblables.

L'uniforme sous Louis XIV était celui de l'infanterie, c'est-à-dire habit gris blanc. En 1722, il fut remplacé par un nouveau qui fut porté pendant 40 ans ; habit bleu, doublure, parements, veste, culotte rouges, bas rouges pour les officiers, manches en bottes, poches en travers à 6 boutons de cuivre rond, chapeau bordé d'or et cocarde noire. Les officiers du corps royal portaient le même costume que ceux du régiment.

Les officiers ingénieurs des fortifications portaient l'habit, doublure, veste et culotte écarlate, parements bleus à boutons de cuivre dorés placés de 2 en 2, les manches en bottes, la poche coupée en travers et le chapeau bordé d'or à cocarde noire.

Pour le service du canon, les soldats mettaient toujours l'habit bas, seul l'officier conservait le sien.

En 1758, l'habit des artilleurs fut orné par devant d'une bande rouge étroite d'un pouce, cousue sur le bord de l'habit. En 1763, conservant ses couleurs distinctives, le costume fut taillé comme celui de l'infanterie sans revers, avec l'épaulette de laine aurore. La veste rouge a 2 rangs de boutons. Les mineurs avaient un habit semblable, mais la veste et la culotte gris fer. L'habit des ouvriers d'état était gris fer avec veste et culotte rouges.

Les régiments d'artillerie n'ont jamais été vendus.

Tableau des variations de l'effectif de l'artillerie.

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