NOTES
On appelait « harnois blanc » l'armure toute unie en acier ou en fer poli. On ne voyait pas encore d'armes gravées dont le goût se développa avec la renaissance, et le mérite de l'armure résidait dans la pureté du métal, dans l'ajustement des pièces et dans l'élégance de la forme. Le seul ornement qui fut usité quelquefois, au milieu du XVe siècle, consistait en pierreries attachées à certaines parties saillantes et bien en vue : mais les rois ou les princes seuls, on le conçoit, pouvaient s'accorder un semblable luxe. C'est ainsi que le duc de Bourgogne, partant en 1413 pour son expédition dans le Luxembourg, avait les garde-bras et les ailes des genouillères de son armure enrichies de « grosses pierreries » (Olivier de la Marche). Philippe-le-Bon était un magnifique prince, et il faisait exception, même dans sa caste, pour son amour des splendeurs. A la même époque, le duc d'Orléans se contentait d'acheter « un harnois d'acier entier » (Catal. Joursanvault). Quand Jeanne d'Arc quitta Charles VII pour aller s'enfermer dans Orléans, le roi lui fit présent « dung harnois complet »que son maître armurier avait fait exprès pour elle, et que le prince paya 100 livres tournois (Procès de réhabil. de Jeanne d'Arc, t. V, p. 258). On sait donc combien coûtait une belle et bonne armure complète. Serait-ce celle qui figurait dans la galerie d'armes du château d'Amboise, et dont l'inventaire dressé le 23 septembre 1499, parle en ces termes : « 31 - harnoys de la Pucelle garny de garde braz, dune paire de mytons (gantelets), et dun abillement de teste où il y a ung gorgeray de maille, le bort doré, le dedans garny de satin cramoisy, doublé de mesme. » M. Le Roux de Lincy, qui a publié ce curieux inventaire, croit reconnaître dans cette si courte description que l'armure de Jeanne était dorée (Bibl. de l'Ecole des Chartes, t. IX p. 418). Nous ne voyons là rien de semblable, sinon que le bord de la coiffure était doré, ce qui n'a rien de surprenant, l'usage étant alors d'appliquer à l'armure de tête des ornements d'or et d'argent, sans, pour cela, que l'armure fut ni dorée ni argentée : elle conservait au contraire sa couleur naturelle. Jeanne d'Arc avait donc suivi la règle commune, et s'il y avait un peu de dorure autour de son casque, salade ou bacinet (d'après l'inventaire nous penchons plutôt pour le bacinet), cela n'était pas un motif pour que son armure fut autrement que les autres. Quelle que fut l'habileté du maître armurier de Charles VII, les armuriers de Milan commençaient à faire preuve d'une supériorité qui leur assura une vogue européenne pendant près de deux siècles. Un épisode d'un tournoi, en 1416, fut comme une révélation à ce sujet. Philippe de Ternant joutait contre Galiot de Baltazin, gentilhomme italien, qui avait endossé « une armure blanche de Milan » - « le seigneur de Ternant commença à le quérir de la pointe de lespée par le dessous de l'armet, tirant à la gorge, sous les esselles, à l'entour du croissant de la cuirasse, par dessous la saignée du bras, à la main de la bride, et partout le trouva si bien armé que nulle blesseure n'en avint. » - Olivier de la Marche, qui donne ces détails, prouve qu'ils furent très-remarqués par la noble assistance et comme un fait auquel on n'était pas accoutumé avec les armures de fabrication française. - Nous ne connaissons qu'une seule armure authentique, contemporaine du petit traité que nous publions, c'est-à-dire de la première moitié ou du milieu du XVe siècle : c'est celle dont on trouvera la reproduction fidèle en tête du volume. Cette pièce, unique peut-être, et aussi remarquable par la beauté du travail que par l'élégance de ses formes, est conservée au Musée d'Artillerie sous le n° G, 1.
La salade était composée d'un timbre arrondi, presque hémisphérique, et d'un grand couvre-nuque en forme de queue aplatie qui descendait entre les deux épaules de l'homme d'armes : ce couvre-nuque était forgé d'un seul morceau avec la salade, et parfois bordé d'un cordon saillant, uni ou cannelé. Le timbre était ou tout uni, ou surmonté d'une légère arête saillante (Musée d'Artillerie, H, 20 ; voir les planches, n° 1) ou d'une crête très-basse percée d'un trou pour y placer un plumail (Musée d'Artillerie, H, 22 ; voir les planches, nos 3 et 25) : nous publions deux dessins (nos 27 et 28) prouvant que la salade avait quelquefois un timbre de forme conique. La salade à visière fixe descendait jusque sur le nez et elle était percée à la hauteur des yeux de deux larges fentes horizontales (voir aux planches, n° 2) ; il y en avait à visière mobile qui pouvait se renverser sur le timbre, et qui alors, dans cette position, découvrait le visage jusqu'au milieu du front (voir aux planches, nos 1, 25-28). Cela donne la mesure exacte de la visière des salades qui ne couvrait le visage que depuis le milieu du front jusqu'à l'extrémité du nez. Nous en possédons une dont la visière, qui fait corps avec la salade, est forgée du même morceau. Tels sont les deux types les plus communs, d'après les collections publiques et particulières et d'après les monuments contemporains, de cette sorte de coiffure pour les hommes d'armes. Il en est deux autres d'un modèle beaucoup plus rare et dont le Musée d'Artillerie, pour une espèce, et nous, pour l'autre, devons posséder les seuls exemplaires connus. De celles du Musée d'Artillerie (voir les planches, n° 4), l'une appartient à l'armure qui porte les numéro et chiffre G, 2, l'autre, celle que nous reproduisons, est classée dans la série H, sous le numéro 27. Ces deux salades, pareilles, ont un couvre-nuque très-court et qui s'arrête au bas du cou, comme on le remarque dans celles des archers, dont on parlera plus loin. Une visière, de la forme dite à soufflet, couvre entièrement le visage jusqu'au bas du menton qu'elle emboîte : elle est mobile autour des deux pivots fixés des deux côtés du timbre sur lequel elle se renverse à volonté : elle porte plusieurs trous pour la respiration, et la fente pour la vue, d'un centimètre de hauteur environ, est produite par une solution de continuité entre le timbre de la salade et le haut de la visière. Les deux modèles du Musée d'Artillerie sont peut-être les seuls que l'on connaisse. - Celle que nous possédons a un couvre-nuque aussi court que les précédentes, mais fait de deux lames articulées. La visière, semblable à une visière de casquette de dimension exagérée, s'allonge au-dessus des yeux et ne paraît avoir eu d'autre but que de garantir le visage du soleil : elle est mobile autour de deux pivots et peut se renverser sur le timbre (voir les planches, n° 6).
Le Musée d'Artillerie ne possède pas moins de sept salades de la plus belle conservation. Elles sont toutes en acier, mais il parait qu'on les ornait parfois de métaux précieux. Quand le duc de Bourgogne partit, en 1443, pour son expédition dans le Luxembourg, ses pages portaient des salades si riches qu'une seule était estimée 100,000 écus d'or (Olivier de la Marche). Celles des gendarmes des compagnies d'ordonnance, sous Charles VII, étaient garnies en argent. La reine ayant payé l'équipement de Thibaut de Vignoles, de Hans Corart et de Thibaut du Mesnil, en 1455, on employa « ung marc, 7 onces et 7 gros 1/2 d'argent pour faire et forger les garnitures de trois salades » (Vallet, Hist. de Charles VII). Cette coiffure, lorsqu'on la portait sans la bavière, avait l'avantage d'être très-légère, mais en même temps le grave défaut de laisser le bas du visage et le cou entièrement à découvert : dans ce cas on employait un petit hausse-col de mailles qui entourait la gorge et protégeait même le menton (voir les planches, n° 25). Jacques de Lalain figurait dans les tournois ordinairement, et notamment en 1449, avec « une petite salade ronde, et avoit la visière couverte, et armé d'un petit hausse-col de mailles d'acier » (La Marche). Le même chroniqueur cite ailleurs un gentilhomme qui, dans une joute, s'était montré avec « une salade de guerre et un hausse-col de mailles. » - La salade était employée de préférence pour combattre à cheval, et elle était alors moins incommode qu'à pied : en effet, pour avoir le visage entièrement couvert et ne laisser aucun interstice entre la salade et la bavière, il fallait baisser légèrement la tête en avant, et c'était le mouvement naturel et obligatoire pour charger avec la lance. L'homme d'armes se servait plutôt du bassinet pour combattre à pied. - On surmontait quelquefois la salade d'un bouquet de plumes (voir les planches, n° 25).
L'archer n'ayant pas la cuirasse entière (voir la note 15), n'avait pas la bavière qui en était alors le complément ordinaire, sinon indispensable, mais il portait la même salade que l'homme d'armes, avec cette seule différence que le couvre-nuque était beaucoup moins développé, et qu'elle était plus légère. Il y en avait de divers modèles. Parmi celles que nous reproduisons, l'une (voir les planches, n° 3) n'avait même pour ainsi dire pas de couvre-nuque, mais, en revanche, elle encadrait carrément le visage et descendait le long des joues jusque sur le cou : l'autre (n° 5), qui fait partie de notre collection, d'une forme plus gracieuse, s'échancre sur le front, s'élargit et s'écarte légèrement de la tête à la hauteur des oreilles, car c'est là même que prend naissance le couvre-nuque forgé d'un seul morceau avec la salade. Le timbre n'est pas entièrement sphérique : une légère arête se profile à son sommet. La disposition intérieure de cette salade démontre qu'elle n'avait pas de garnitures et se portait par-dessus une espèce de bonnet d'étoffe quelconque dont l'archer se coiffait avant de prendre sa salade. - Les deux salades dont nous parlons sont sans visière, mais il n'est pas rare de voir à la salade des archers la même visière mobile qu'à celle des hommes d'armes. Dans deux miniatures des Chroniques d'Angleterre, manuscrit exécuté pour le roi Édouard IV, représentant, l'une deux arbalétriers et l'autre quatre archers ; sur ces six personnages il en est trois dont les salades ont une visière relevée sur le timbre, ce qui prouve qu'elle était mobile et pouvait se baisser à volonté. Un d'eux a la visière ordinaire, les deux autres en ont une qui mérite d'être remarquée : elle est de forme conique, percée de deux fentes horizontales pour la vue et plus bas de plusieurs trous pour la respiration : ce qui lui donne beaucoup d'analogie avec celle d'un bassinet et celle dite à soufflet dont nous avons fait plus haut la description, d'après les deux modèles uniques du Musée d'Artillerie. Abaissée, cette visière devait tomber plus bas que le menton. La salade d'archer sans visière, dont nous donnons le dessin (n° 3) appartient au Musée d'Artillerie : elle est bordée d'un cordon uni et saillant, et à la légère crête qui surmonte le timbre on remarque une ouverture pour placer une plume. Le même Musée possède encore un casque d'archer, en acier noirci, sans visière et à grand couvre-nuque, son timbre est terminé par une pointe légère : il ne portait pas de garniture et, comme la salade qui nous appartient, il devait être mis sur une coiffe indépendante de lui.
La bavière était le complément nécessaire de l'armure de tête connue sous le nom de salade. C'était une plaque de fer ou d'acier, selon que le reste de l'armure était de l'un ou de l'autre métal, vissée à la partie supérieure du plastron de la cuirasse, qui couvrait le cou et le menton et se terminait au-dessus de la bouche. Elle était arrondie et se modelait sur la forme du visage. Lorsqu'on la portait avec la salade, elle était vissée à la cuirasse, comme on vient de le dire; lorsque, au contraire, on la portait avec un chapeau de Montauban, elle était accompagnée d'un colletin forgé d'une seule pièce qui couvrait le cou aussi bien par-devant que par-derrière et venait sur les épaules recouvrir la jointure de l'épaulière. Nous en donnons un modèle (n° 9) d'après l'un des bas-reliefs si curieux qui décorent l'entrée de la grande salle du Musée d'Artillerie, et qui proviennent de l'arc-de-triomphe d'Alphonse V, roi d'Aragon, à Naples, représentant l'entrée du prince dans cette ville, en 1443. - Il y avait aussi des bavières faites de deux lames réunies et dont l'une, celle du haut, pouvait se baisser sur celle du bas, pour laisser respirer plus facilement (cabinet de l'auteur). La bavière, que l'on appelait aussi barbute ou barbuce, quand on la portait avec la salade à visière qui couvrait le nez, rejoignait la salade de manière à ne pas laisser de solution de continuité entre elle et le bas de la visière, lorsque celle-ci était abaissée (voir les planches, nos 24, 26 et 27). « Avoit - dit la Marche - le chevalier une salade à visière et une courte bavière. » Quand l'homme d'armes avait une salade sans visière ou un chapeau de Montauban qui découvraient également le visage, la bavière, plus allongée, s'étendait alors jusqu'au-dessous des yeux qui restaient seuls visibles entre le bord de la bavière et celui de la salade ou du chapeau : mais, dans ce cas, elle était percée de trous pour la respiration. Olivier de la Marche dit qu'il n'était pas rare de voir dans les tournois des chevaliers faire déclouer la visière de leurs bassinets ou salades, et ils prenaient aussitôt une grande bavière. « Étoit armé d'un armet à la façon d'Italie et de sa grande bavière » - et ailleurs - « avoit un capel de fer et une haute bavière, tellement que de son viaire (visage) il n'apparoissoit que les yeux » (Chastelain, Chron. de J. de Lalain).
Du Cange pense que le barbute, barbuta, était une espèce de casque. Notre note et le texte si précis de notre écrivain anonyme démontrent le contraire. Du Cange nous apprend du moins que les chroniqueurs italiens du XIVe et du XVe siècles comptaient les gens d'armes par barbutes, comme Froissart les compte par bassinets, comme au XVIe siècle on compta par lances, comme aujourd'hui enfin on compte par chevaux.
Si l'auteur n'avait pas pris la précaution de décrire cette coiffure militaire, nous avouons qu'il nous aurait été impossible d'en donner la définition. C'est la première fois que son nom se présente à nous, et nous ne croyons pas qu'il ait jamais été employé par aucun de nos chroniqueurs du XVe siècle. La description de l'auteur n'est du reste pas satisfaisante : il en parle comme d'un objet familier à tous et dont le nom seul suffit pour évoquer la forme. Il semblerait rationnel de conclure que la biquoque (probablement de l'italien bicocca) était un casque de forme ovoïde, muni d'une visière mobile, une sorte de bassinet. Mais nous ne donnons cette opinion que comme purement personnelle et sous toutes réserves.
La description de notre manuscrit est précise : c'était un véritable chapeau de fer dont le timbre, de forme légèrement ovale, était terminé par une petite crête, et dont les bords, au lieu d'être plats, se rabattaient tout autour de la figure. Le chapeau de Montauban avait un peu l'aspect d'un bateau renversé (voir aux planches, nos 6, 9 et 24). Ce genre de coiffure était usité déjà au XIVe siècle. Au pas d'armes de la Fontaine de Pleurs, en 1449, Gérard de Roussillon avait « un chapeau de fer d'ancienne façon » (G. Chastelain, Chron. de J. de Lalain). « Avoit un harnois de tête en forme d'un chapel de fer » (idem). Ce chapeau était quelquefois muni d'une garniture en bois. Il est très-rare d'en rencontrer aujourd'hui et il n'en existe que trois ou quatre connus : l'un d'eux est en notre possession : c'est celui qui figure dans les planches sous le n° 6. En le comparant à celui de la figure n° 9, tirée d'un des bas-reliefs du Musée d'Artillerie, représentant l'entrée d'Alphonse V, roi d'Aragon, à Naples, en 1443, on se convaincra que ce chapeau de fer est contemporain de notre auteur, et que c'est bien le même qu'il décrit.
Il résulterait de cette description si précise que la salade à visière mobile, celle dont on rencontre aujourd'hui le moins de modèles était alors la plus usitée. Nous ne pouvons que renvoyer le lecteur à la note 2 dans laquelle nous avons parlé longuement de cette coiffure.
D'après la phrase suivante, il faut entendre par « communs » que ce genre de brassards était d'un usage plus général que tous les autres. La réputation des fabriques d'armes de Milan était, on le voit, antérieure au XVIe siècle et aux guerres d'Italie. L'inventaire des armes de Louis Le Hutin, en 1316, mentionne déjà « un haubert entier de Lombardie et deux autres haubergons de Lombardie. »
C'est, à coup sûr, le brassard composé de pièces articulées réunies ensemble par des clous ou rivets, et qu'il fallait vêtir d'un seul morceau comme on passerait la manche d'un habit. Ce système d'armure, qui devait laisser moins de liberté dans les mouvements que celui décrit par notre manuscrit, avait pourtant l'avantage de protéger plus efficacement et d'être mis plus rapidement, puisqu'il n'y avait qu'à le bouder au colletin, ou à l'attacher au moyen d'un pivot à clavette entrant dans un oeillet percé au travers de la dernière lame de l'épaulière.
C'est le garde-bras dont les dimensions, à en juger par les monuments contemporains, miniatures et statues, auraient acquis un développement très-considérable. Les effigies funèbres de Thomas de Saint-Quentin, dans l'église de Harpham (Yorckshire), de John Daudelyon, à Margate (comté de Kent), de sir Robert Staunton, à Castle Donington (Leicestershire), et celle enfin de Richard Quartremayns, dans l'église de Sainte-Marie de Thame (comté d'Oxford), nous offrent, et la dernière surtout, les plus curieux exemples de cette pièce d'armure extrêmement développée : le garde-bras gauche est devenu une espèce de petit bouclier. Une armure maximilienne, du plus précieux travail et de la fin du XVe siècle, qui fait partie de notre cabinet, est encore pourvue de ces garde-bras, mais bien diminués de grandeur, réduits aux proportions des cubitières du XVIe siècle et enfin égaux tous deux ; ils se rapportent tout à fait à la description de notre manuscrit et donnent une idée précise de la manière dont le garde-bras était disposé sur la cubitière. Ce sont deux pièces faites en forme de coeur : le bas, destiné à protéger la pointe du coude, s'attache sur la cubitière au moyen d'une clavette tournant dans un oeillet, et le sommet se replie sur la saignée qu'il couvre entièrement. Ce sont donc les deux côtés de ce coeur placé horizontalement, le haut et le bas, qui prennent dans les armures du milieu du XVe siècle un développement extraordinaire et s'étendent, en haut, de manière à rejoindre le bas de l'épaulière, et, en bas, à toucher le canon du gantelet. Le garde-bras est tantôt rond et plat, tantôt à vives arêtes et découpé sur les bords en pointes plus ou moins aiguës, tantôt encore terminé par un filet rond et faillant, quoique l'on n'en rencontre pas dans les autres pièces de l'armure. Il est incontestable que le garde-bras, qui n'était qu'une adjonction à la cubitière destinée à arrêter le fer de la lance, ne se prolongeait pas derrière le bras et ne l'entourait pas : il n'existait que sur sa partie antérieure. Un examen attentif des magnifiques pierres tombales dont on a parlé tout à l'heure et de diverses miniatures ne laisse pas subsister le moindre doute à cet égard. Le garde-bras gauche, « d'un pié en ront, » ce qui est énorme, était juste du double plus grand que le garde-bras droit, mais il était aussi de moitié moins épais que lui.
Ce genre de brassard que notre auteur dit être d'un usage beaucoup moins fréquent que les précédents, se composait simplement du brassard d'avant-bras, du brassard d'arrière-bras et d'une grande cubitière, en trois pièces chacune d'un seul morceau et non articulée, indépendantes les unes des autres et reliées au moyen de courroies à boucles (voir les planches, n° 25). L'inconvénient de ce genre de brassard et probablement ce qui lui faisait préférer l'autre, c'est qu'étant moins bien fermé et offrant plus de prise à la pointe de l'épée ou au fer de la lance, il nécessitait l'usage d'un haubergeon ou chemise de mailles.
Le harnais de jambes, pendant toute la première moitié du XVe siècle, présente une forme bien caractérisée et que l'on ne rencontre nulle part ailleurs et à aucune autre époque. Le cuissard emboîte la jambe et la recouvre presqu'entièrement : il laisse seulement à découvert la partie qui touche la selle du cheval, c'est-à-dire l'intérieur de la cuisse, tandis qu'à la fin du XVe et au XVIe siècle il ne protégeait que le devant de la cuisse. Pour revêtir ce cuissard il faut en ouvrir une partie qui tourne sur des charnières et à laquelle sont fixées des boucles qui reçoivent les courroies. La genouillère, au lieu d'être ronde, est conique et porte à la pointe une arête assez vive ; elle est garnie d'ailerons dont la dimension est en rapport avec celle des garde-bras : les deux lames, supérieure et inférieure, qui l'accompagnent, s'étendent quelquefois assez loin et se terminent en pointe sur le cuissard et sur la grève. Le cuissard enfin, montant très-haut sur la cuisse, est terminé par deux larges lames articulées qui touchent le bas-ventre quand le chevalier est en selle. La grève, enveloppant entièrement la jambe, se composait de deux parties, antérieure et postérieure, reliées d'un côté par des charnières autour desquelles elles tournent et de l'autre par des crochets ou des boutons à oeillet. Il y avait deux sortes de grèves (voir l'armure G, 1, du frontispice, et les planches, nos 15, 24-28) : celle de Milan, ne faisant qu'un avec le soleret et réunie à lui par des lames articulées et des rivets : elle couvrait le talon et les chevilles et s'échancrait sur le cou de pied, laissant entre elle et la première lame du soleret un espace de deux à trois doigts rempli par une pièce de mailles. Ce système avait l'avantage de donner à l'articulation du pied tout le jeu nécessaire pour l'équitation aussi bien que pour la marche. La courroie de l'éperon, passant sur cette ouverture, en complétait la défense concurremment avec la pièce de mailles. Dans l'autre système, la grève était terminée carrément au-dessus de la cheville. Le soleret, auquel, dans ce cas, était rivé l'éperon, avait alors la forme d'un véritable soulier, composé de lames transversales, terminé par une poulaine plus ou moins exagérée, qui se relevait ou se démontait quand le cavalier mettait pied à terre « et prestement furent pointes de souliés coupées et hommes d'armes et archers se mirent à pied, qui mieux mieux » (La Marche, récit d'un combat du duc de Bourgogne contre les Gantois, en 1452), et retombait par son propre poids, en décrivant avec le pied un quart de cercle, quand le cavalier était à cheval. Le soleret avait une semelle soit en fer, soit en cuir, soit enfin faite de deux lanières de cuir mises en croix. Dans ce second système ce n'était plus le cou de pied seulement, mais la cheville et tout le bas de la jambe, sur une largeur de trois à quatre doigts environ, qui étaient armés par une bande de mailles. L'étude des monuments anglais du XVe siècle nous a amené à faire cette curieuse remarque que la mode de la grève échancrée sur le cou de pied ou séparée du soleret a dû être empruntée à l'Angleterre, ou qu'alors elle datait en France de la fin du XIVe siècle et s'était conservée chez nous pendant un demi-siècle, alors que nos voisins et adversaires l'avaient abandonnée. On la remarque ainsi sur toutes les tombes anglaises exécutées de 1370 à 1420. A partir de cette dernière époque, sur toutes les effigies funèbres, ou bien la grève est attachée au soleret, ou bien elle le recouvre de telle sorte qu'il n'y a entre eux aucune solution de continuité. Dans tous les cas, quand le soleret est indépendant de la grève, il s'ouvre comme elle, tournant d'un côté sur des charnières et se ferme de l'autre soit avec un crochet, soit avec un bouton et un oeillet (voir les planches, n° 30).
Notre écrivain anonyme passe donc en revue, dans sa nomenclature du costume militaire, le casque, les brassards, les cuissards, les jambières et les solerets, mais il ne décrit ni la cuirasse et ses accessoires, ni les gantelets, ni le harnais du cheval, et nous croyons nécessaire de réparer cette omission. En mélangeant son texte à notre travail on aura l'ensemble exact et fidèle, résultant du récit d'un contemporain et d'études faites sur un choix de monuments authentiques, du vêtement militaire adopté par les hommes d'armes français au milieu du XVe siècle, à la plus belle époque de la panoplie.
La cuirasse, très-légèrement bombée, se décomposait, pour le plastron ou pièce de poitrine, en deux parties, le plastron proprement dit et la pansière. Le plastron, échancré au cou et aux bras, couvrait la moitié supérieure de la poitrine ; la pansière, ou pièce inférieure, prenait naissance à la taille et se terminait en pointe sur l'estomac, recouvrant le plastron d'au moins trois doigts et rattachée à lui par une boucle ou un rivet placé à l'extrémité de cette pointe ; parfois seulement elle était posée sur le plastron et justifiait ainsi davantage son but qui était de permettre au chevalier de plier plus facilement le corps en avant et en arrière (voir les planches, nos 12, 13, 24-28). On lui avait donné le nom de « cuirasse à emboîtement. » C'est à la partie supérieure de la cuirasse que se vissait la bavière. La dossière, ou pièce de dos, était composée de deux lames établies en sens inverse, c'est-à-dire que celle du haut recouvrait celle du bas, et qu'elles n'étaient reliées que par des rivets placés à chaque extrémité de la dossière pour leur donner le plus de jeu possible. Il arrivait quelquefois que le plastron et la dossière étaient en trois pièces, au lieu de deux. Pour le plastron, c'était la dernière limite que l'armurier ne dépassait jamais, et il faut même dire que les plastrons en trois pièces sont des exceptions. Il arrivait très-fréquemment au contraire que la dossière était faite de cinq ou six lames à recouvrement du haut sur le bas, et après avoir dessiné et emboîté la taille, se déployait pour devenir le garde-reins, fait de lames articulées de la même manière, mais se terminant en pointe jusqu'à venir toucher le dos du cheval, en passant par-dessus l'arçon de la selle (voir l'armure G, 1, du frontispice). La braconnière, attachée à la pansière, formait, par-devant, la contre-partie du garde-reins ; elle portait aussi le nom de faudes ou flancars : c'était la réunion de plusieurs lames articulées, clouées les unes sur les autres, qui partaient de la cuirasse et couvraient le ventre et les flancs. Entre la pansière et la première lame de la braconnière on bouclait le ceinturon de l'épée qui couvrait le joint de ces deux pièces. A la dernière lame de la braconnière étaient attachées par des courroies à boucles les tassettes, plaques de fer d'un seul morceau, faites en forme de tuiles pointues, parfois chargées au milieu et sur les extrémités d'un filet perpendiculaire ciselé en torsade, et descendant assez bas pour couvrir un tiers, la moitié même du cuissard. On voit à quelques armures de cette époque quatre tassettes, deux de chaque côté : elles sont alors de moins grande dimension. Un jupon de mailles, très-court, complétait la défense des parties découvertes, entre les deux tassettes, par-devant, et sur les côtés, entre les tassettes et le garde-reins.
Les gantelets se composaient du canon, revers ou bracelet, c'est-à-dire de la partie qui entourait le poignet, qui s'étendait sur l'avant-bras, et de celle qui couvrait la main et les doigts. Au milieu du XVe siècle le bracelet était peu évasé et se terminait sur l'avant-bras en pointe assez allongée pour toucher le bord du garde-bras. Le dessus de la main était un miton, c'est-à-dire la réunion de trois lames articulées et légèrement arrondies, correspondant aux trois grandes divisions de la main, à l'exception du pouce, toujours détaché et fait de deux lames seulement ; ceci n'était pas une règle absolue, mais seulement le gantelet ordinaire. On apportait quelquefois au miton des modifications qui n'altéraient en rien son caractère primitif : ainsi, on en remarque qui, au lieu de trois lames, en portaient plusieurs, d'autres chez qui, au contraire, le dessus de la main était d'un seul morceau, d'autres encore qui figuraient les doigts et leurs nodosités et même les ongles. Mais enfin le véritable miton et le plus commun était celui que nous avons décrit d'abord : ce fut seulement au XVIe siècle que l'emploi des armes à feu nécessita le retour au gantelet à doigts séparé et couverts de petites écailles cousues sur un gant de peau de buffle ou d'élan (voir les planches, n° 14).
Les éperons, lorsque le soleret tenait à la jambière, étaient attachés au pied par des courroies à boucles (voir l'armure G, 1). Ils avaient pris, à cette époque, des proportions gigantesques : la tige mesurait au moins 0m 30c de longueur, et la molette était composée de cinq ou six pointes, très-espacées, incroyablement longues et aiguës comme autant de lames de poignard. La longueur de la tige s'explique encore par la difficulté que le cavalier avait, à cause des flançois de fer, à approcher les talons du ventre de son cheval : mais quant aux proportions de la molette qui en faisaient une arme meurtrière, il est impossible de les justifier d'aucune manière. Merlin de Cordebeuf, qui écrivait vers la même époque un Traité du Costume des Chevaliers errants (nous le publions dans la dernière note de notre travail), leur conseille de ne porter « gaires les esperons plus longs de quatre ou cinq doiz, afin quilz ne nuysent point pour combattre à pied. » Cette dimension modérée attribuait encore à la tige 0m 10c, c'est-à-dire le tiers environ de la longueur des éperons de bataille. Lorsque le soleret était indépendant de la grève, l'éperon était vissé ou rivé au talon, mais ses proportions étaient les mêmes.
Sous l'armure, le costume de l'homme d'armes était aussi simple que possible. Il portait « sollers lachiés de-hors piet (souliers lacés sur le pied), pourpoint et cauches (chausses) justes. » (Procès de la Pucelle, t. 1, P. 294).
Le cheval était,
comme son maître, entièrement couvert de fer. La selle, garnie
de deux plaques de fer ou d'acier arrondies, et très-élevées,
avait des quartiers, en fer également, relevés des deux côtés,
qui emboîtaient la cuisse. Il était, on le conçoit, assez
difficile de s'y établir sans aide, aussi Merlin de Cordebeuf, dans son
Traité du Costume des Chevaliers errants, vers 1450, leur recommande-t-il
de prendre des « selles de guerre dont len pourra descendre et monter
seul sans aide. » Pour pouvoir « tournoyer »
avec elles, il est nécessaire, dit-il plus loin , qu'elles soient « bien
fort closes par derrière et ne veuillent pas estre trop haultes d'archon
devant. » Cette note et le dessin de l'armure G, 1, du frontispice,
prouvent que la véritable selle de guerre avait l'arçon de devant
plus élevé que l'autre, et cela s'explique par la forme de l'armure
munie d'un garde-reins si long qu'il passait par-dessus l'arçon et le
couvrait entièrement, tandis que, par suite de la position de l'homme
d'armes à cheval, les tassettes s'écartaient et le bas-ventre,
couvert seulement d'un léger jupon de mailles, avait besoin, pour être
réellement protégé, d'un arçon très-élevé.
- La selle était posée sur une couverture ou barde d'acier qui
couvrait entièrement le cheval depuis le dos jusqu'au-dessus du ventre,
et portait le nom de flançois ou pissière. Le cou du cheval était
enveloppé de mailles surmontées par la cervicale : on appelait
ainsi la pièce d'armure composée de lames de fer arquées,
à recouvrement, suivant la forme de l'encolure, qui couvrait la crinière
depuis le devant de la selle jusqu'au chanfrein après lequel elle était
fixée par des charnières ou des agrafes. Le chanfrein, plaque
de fer ou de cuir bouilli découpé, avec des trous pour les yeux,
appliqué sur le devant de la tête du cheval, complétait
l'armure du fidèle compagnon à la destinée duquel celle
du cavalier était étroitement liée, la mort du premier
entraînant presque toujours alors celle du second. On surchargeait le
cheval, mais on l'armait aussi soigneusement que soi-même, et il est assez
curieux de remarquer que pour le harnois du cheval on déployait plus
de luxe que pour l'armure de l'homme d'armes. Ceci s'applique plus particulièrement
au chanfrein qui était soit en fer, soit en acier, soit en cuir bouilli
et sur lequel étaient parfois gravées les armes de son possesseur.
Le chanfrein qu'avait le cheval du comte de Saint-Pol au siège d'Harfleur,
en 1449, était estimé 30,000 écus : le cheval du comte
de Foix, lors de son entrée dans Bayonne reconquise par Charles VII,
en avait un d'acier, orné d'or et de pierreries, prisé 150,000
écus d'or. Il y avait des demi-chanfreins. Étienne Pannaye en
avait fait un pour le duc d'Orléans « à grant rondelle
pour la jouste » (Catal. Joursanvault). Au lieu de rondelles, qui
étaient encore une autre arme défensive, ces chanfreins portaient
quelquefois des armes offensives et étaient munis de plusieurs pointes
courtes, disposées comme les dents d'une soie, ou, de même qu'
« au poitrail et ès flancs de la barde de grandes dagues d'acier »
qui devaient produire un terrible effet dans la mêlée. On les craignait
assez pour qu'en 1446, Galiot de Baltazin, gentilhomme italien, ayant paru dans
une joute contre Philippe de Ternant avec son cheval portant de semblables dagues
d'acier sur « une barde de cuir de buffle peint à sa devise, »
le duc de Bourgogne lui ait fait. dire que « l'on n'avoit point accoustumé
de porter en lice ou noble champ-clos dagues ou poinctures en habillemens de
chevaux » (Olivier de La Marche).
Le sens du manuscrit n'est pas ici suffisamment intelligible. La phrase, en la comparant à celle qui traite du harnais de jambes des hommes d'armes, laisserait supposer que cette partie du costume militaire était la même chez le cavalier que chez le fantassin, ce qui n'est pas admissible. Dans tous les combats où les hommes d'armes avaient mis pied à terre, leur infériorité, causée surtout par le poids de l'armure des jambes, avait été trop bien constatée pour que l'on eut donné aux archers le même armement qu'aux cavaliers. Quand on parle du harnais de jambes de l'archer nous supposons donc qu'il faut entendre peut-être, comme nous l'ont appris plusieurs miniatures, des genouillères de fer ou d'acier dont les deux dernières lames articulées, en haut et en bas, sont terminées en pointe assez allongée pour garantir en même temps la moitié de la jambe et la moitié de la cuisse. M. John Hewitt, dans sa remarquable Histoire du Costume militaire en Europe, a constaté également sur des miniatures anglaises, que l'archer n'était sérieusement armé que depuis la ceinture jusqu'au cou. Il reproduit, à l'appui de son opinion, un groupe d'archers diversement armés, mais uniformément revêtus de la chausse ou pantalon collant en étoffe qui était alors l'attribut du costume civil (voir les planches, n° 20).
Nous avons réuni, dans la note 2, tout ce qui était relatif à la coiffure militaire connue sous le nom de salade, aussi bien pour les hommes d'armes que pour les archers et arbalétriers : c'était afin d'avoir un ensemble plus complet. Nous renvoyons donc à la seconde partie de la note 2 pour ce qui concerne les salades des gens de pied.
Dans des miniatures du XVe siècle on voit des archers revêtus de chemises de mailles à manches courtes et larges, et par-dessus d'un petit vêtement d'étoffe serré à la taille, boutonné ou lacé par-devant, laissant apercevoir les mailles entre les boutons, à la manche et sur les cuisses où le tissu de mailles dépasse l'étoffe de la largeur de la main à peu près. Ce vêtement n'était-il pas la jacque, dont du Cange nous donne, d'après un titre de la chambre des comptes, une si complète description ? « Mémoire de ce que le roy veult, que les francs archers de son royaume soient habillez en jacques droy en avant, et pour ce a chargié au bailly de Mante en faire un get ; et semble au dit bailly de Mante que l'abillement de jacques leur soit bien proufitable et avantageux pour faire la guerre, veu qui sont gens de pié, et que en ayant les brigandines il leur faut porter beaucoup de choses que un homme seul et à pied ne peut faire. Et premièrement leur faut desdits jacques de trente toilles, ou de vingt-cinq, à un cuir de cerf à tout le moins : et si sont de trente-un cuirs de cerf, ils sont des bons. Les toilles usées et déliées moyennement sont les meilleures, et doivent estre les jacques à quatre quartiers, et faut que les manches soient fortes, comme le corps, réservé le cuir. Et doit estre l'assiette des manches grande, et que l'assiette pregne près du collet, non pas sur l'os de l'épaulle, qui soit large dessoubz l'aisselle et plantureux dessous le braz, allez faulce et large sur les collez bas, le collet fort comme le demourant du jacques ; et que le collet ne soit pas trop hault derrière pour l'amour de salade. Et fault que ledit jacques soit lassé devant et que il ait dessous une porte pièce de la force dudit jacques. Ainsi sera leur ledit jacques et aissé, moiennant qu'il ait un pourpoint sans manches, ne colet, de deux toilles seullement, qui naura que quatre doys de large sur lespaulle ; auquel pourpoint il attachera ses chauffes. Ainsi flottera dedens son jacques et sera à son aise. Car il ne vit oncques tuer de coups de main, ne de flèches dedens lesdits jacques ses hommes, et se y souloient les gens bien combattre. »
La jacque était donc un vêtement un peu aisé, fait de vingt-cinq, trente ou trente-un doubles de vieille toile piquées sur un cuir de cerf, avec un collet droit et échancré par-derrière pour laisser au couvre-nuque de la salade la facilité de toucher les épaules. La jacque pouvait se porter sur une chemise de mailles, et c'est donc bien elle dont sont revêtus les archers cités plus haut. Une ordonnance du duc Jean V de Bretagne, en 1425, dit « que les archers soient armez de forts jacques garnies de laisches (lames), chaisnes ou mailles pour couvrir les bras. » La jacque était donc plus légère et plus à la portée des gens du commun que la brigandine dont le prix devait être assez élevé. « Vieils haubergeons, jacques et autres habillemens de pauvre état » (Monstrelet). Il y avait aussi des jacques autrement faites qu'en toile et en cuir, mais c'était l'exception. « Siot un jasque moult fort de bonne soie empli, » dit la Chronique manuscrite de du Guesclin, et en 1398 le duc d'Orléans donna à messire Charles d'Albret une jacque de velours cramoisi à longs poils, garnie d'aiguillettes et de crochets d'or (Catal. Joursanvault). Le bailli de Mantes affirme enfin que la jacque était bien préférable à la brigandine pour les gens de pied.
Voir plus bas, à la note 45, où nous avons réuni tout ce qu'il y avait à dire sur la brigandine, à propos des tournois où le manuscrit déclare qu'elle était d'un usage très-fréquent.
Le mot trousse est improprement employé en parlant de l'archer : la trousse appartenait exclusivement à l'arbalétrier. L'archer portait ses flèches bottelées à la ceinture et réunies dans une sorte d'anneau rond en cuir ou en métal qui les maintenait à peu près horizontalement, la pointe en avant. La trousse était un étui rond ou carré ou plus large du haut que du bas, que l'arbalétrier attachait à sa ceinture et dans lequel il mettait ses carreaux perpendiculairement, le fer en bas. On s'explique fort bien que les archers n'aient pu se servir pour leurs flèches d'un semblable étui : la longueur de la flèche était telle que la trousse, battant les jambes de l'archer, serait devenue un véritable obstacle pour la marche ou la course. L'archer, d'ailleurs, au moment de combattre, jetait à terre son paquet de flèches et les ramassait à mesure qu'il en avait besoin. L'anneau ou courroie de ceinture ne lui servait donc qu'à les rassembler au moment de se remettre en marche.
L'arbalète, à cause de sa pesanteur et de la lenteur relative de son tir, était devenue, au milieu du XVe siècle, plutôt une arme de rempart qu'une arme de bataille. La proportion pour le tir était telle que l'arbalète ne jetait que trois carreaux contre dix flèches lancées par un arc. En cas de pluie ou d'humidité dans l'atmosphère, la corde de l'arbalète, fixée à demeure, se détendait et perdait de sa force. En revanche, l'arbalète l'emportait de beaucoup pour la précision du tir qui était parfaite, mais qui exigeait que l'on visât à loisir le but que l'on voulait atteindre. Pour toutes ces raisons, l'arbalète convenait autant à la défense des villes qu'elle convenait peu dans les batailles rangées. Les Génois et les Gascons étaient réputés les plus habiles dans le maniement de cette arme.
Le haubergeon était le diminutif de la grande cotte de mailles ou haubert. Il était d'une maille différente et moins fine que le haubert. C'était une tunique sinon flottante, du moins peu ajustée, avec des manches courtes et larges n'atteignant même pas le coude, et qui descendait jusqu'à mi-cuisses.
Il y aurait ici de l'indécision sur l'arme appelée langue de boeuf et sur son usage, si l'on s'en rapportait à l'arme connue au XVIe siècle sous cette désignation. La langue de boeuf, du XVIe siècle, ou même déjà de la fin du XVe, d'origine italienne, n'était autre chose qu'une épée tenant le milieu entre l'épée ordinaire et la dague pour la longueur, avec une lame plus large que la main au talon et se rétrécissant rapidement jusqu'à la pointe, de manière à n'avoir nulle part la même largeur. La langue de boeuf était presque toujours d'une grande richesse. La lame, évidée à compartiments, était très souvent damasquinée d'or ou d'argent. La poignée était souvent aussi en ivoire. Celles de Vérone étaient les plus estimées. On en trouve encore dans diverses collections publiques ou particulières quelques modèles, et toutes celles que nous avons eu occasion d'étudier étaient plus ou moins riches. - Telle n'était pas l'arme des soldats de Charles VII , la langue de boeuf « en faczon de dardres » que dépeint notre manuscrit. Cette langue de boeuf était une pique ou un javelot dont le fer devait offrir de l'analogie avec l'arme du XVIe siècle que l'on vient de décrire, c'est-à-dire qu'il était très-large, très-court et à deux tranchants. Du Cange cite un fragment de lettres de rémission de 1441 où la langue de boeuf est assimilée à la guisarme. « Icellui Périnet sen ala en la ville de Hébonnières (Harbonnières en Santerre, Somme) a tout une guisarme ou langue de boeuf. » Plus loin il dit encore « ung baston appellé javeline ou langue de beuf. »
Une miniature d'une traduction française de Valère Maxime (Bibl. Harleienne, 4374, f° 161, publ. par M. Héwitt, t. III) représente un « javelin-man » qui n'est autre que le coutillier dont parle notre manuscrit. Il a le haubergeon de mailles et par-dessus une brigandine très-courte, la salade sans visière à très-court couvre-nuque : le harnois de jambes est complet et il est de plus terminé par la poulaine ; ce qui nous ferait soupçonner le peintre d'inexactitude, car assurément la poulaine d'acier ne pouvait être portée par un homme de pied. L'armure défensive est complétée par un bouclier ovale et bombé, avec un umbo saillant duquel rayonnent des lames de fer qui vont se terminer en s'arrondissant sur les bords de l'écu. Le passage suivant, tiré du mémoire du bailli de Mantes au roi, déjà cité, d'après l'original de la chambre des comptes, s'applique à merveille au coutillier dont nous nous occupons. « Il lui semble que ceulx qui porteroient voulges les devroient avoir moiennement longs, et qu'ils eussent un peu de ventre, et aussi qu'ils fussent tranchans, et bon estoc, et que lesdits guisarmiers aient salades à visières, gantelets et grans dagues sans espées » (Du Cange, Gloss. au mot Gisauma). Voilà bien le coutillier de notre manuscrit, sous le nom de guisarmier, et la langue de boeuf est devenue la vouge, c'est-à-dire une pique munie d'un fer tranchant d'un côté et garni d'une rondelle à la douille. Guisarme, vouge ou langue de boeuf nous paraissent sinon sinonymes, au moins offrir entre elles une grande analogie et former trois genres très-peu variés de la même famille. Disons en passant que la guisarme, dont on a voulu faire une hache, n'a jamais été qu'une pique, « ung baston, une grande alumelle appellé juserme » (let. de rémiss. de 1426).- L'aiguillon pour piquer les boeufs s'appelait, en 1382, « la gise, » et ce n'était pas une hache. Il nous semble que la gisarme ou guisarme lui devait son nom, sans doute à cause de l'analogie qu'il y avait dans la manière de se servir de l'une et de l'autre.
« Coustillers » dans Froissart ; « cousteliers et coustilliers » dans Jean Chartier ; « coustilleur » dans des lettres de rémission de 1455. - Il faut lire ce que nous avons dit du coutillier dans les deux derniers paragraphes de la note qui précède.
Parmi les épées du Musée d'Artillerie il en est treize qui appartiennent incontestablement au XVe siècle, mais à différentes époques du XVe siècle. La diversité que l'on remarque entre elles prouve que la mode était peut-être plus changeante pour les épées que pour les autres armes. La longueur, la largeur, la forme de la lame, les quillons, la fusée, le pommeau, tout ce qui constituait enfin l'épée au XVe siècle était sujet à de fréquentes variations : ainsi, parmi les treize épées que nous venons de signaler, il n'en est pas deux qui soient semblables, et il n'en est qu'une seule qui se rapporte parfaitement à la description de notre manuscrit : c'est celle qui porte le n° J, 13 (voir les planches, n° 23). Elle est courte, à deux tranchants, avec une arête adoucie au centre et un talon très-large. Les quillons sont fortement recourbés sur eux-mêmes à leurs extrémités et tournés vers la pointe de la lame. Le pommeau est circulaire. Telle qu'elle est et en l'examinant, avec notre manuscrit sous les yeux, il est impossible de ne pas la reconnaître pour celle dont les hommes d'armes se servaient au moment où notre auteur écrivait son traité. Le n° J, 13 du Musée d'Artillerie est donc le type de l'épée usitée en France par les chevaliers, de 1446 à 1450. On trouve encore, dans l'inventaire des armes conservées au château d'Amboise, dressé en septembre 1499, la mention suivante de deux épées attribuées à la même époque : « une espée, la poignée garnie de fouet blanc, ung pommeau long en faczon de cueur esmaillé blanc et rouge, nommée l'espée du roi Charles septiesme qu'il portoit en son courset - une espée d'armes, la poignée de fouet blanc, au pommeau d'un costé à Nostre-Dame et St-Michel de l'autre. »
Les dagues de cette époque, à en juger d'après les monuments contemporains, n'étaient que le diminutif de l'épée, à l'exception des quillons qui, manquent fréquemment. Nous publions comme spécimen (voir les planches n° 23, A) une dague à lame triangulaire, avec poignée en cuivre doré, trouvée au gué de Véluire, en Vendée (Poitou et Vendée, par M. Fillon).
Nous n'avons trouvé citées nulle part ailleurs ces épées dites feuilles de Catalogne qui devaient être, ainsi que le nom l'indique, de fabrication espagnole. - Les épées de Ségovie étaient déjà connues et estimées au XIIIe siècle (Gloss. de du Cange).
L'usage de l'épée à deux mains remonte bien plus haut que la seconde moitié du XVe siècle et ne fut pas particulière aux Suisses, comme on l'a souvent prétendu. Il en est fait mention dans les chroniques du XIVe siècle : Froissard en parle et prouve que les gentilshommes ne dédaignaient pas de s'en servir, mais quand ils avaient mis pied à terre, car le maniement de cette arme était impraticable à cheval, mais pourtant, elle était plutôt dévolue aux piétons. A la bataille de Saint-Tron, les archers bourguignons étaient « embastonnés de grandes espées, et après le trait passé (après avoir épuisé leurs flèches) ils donnoyent de si grands coups de celles espées quils coupoient un homme par le faux (le milieu) du corps, et un bras et une cuisse » (Olivier de La Marche). - Le maniement de l'épée à deux mains exigeait de l'adresse et une étude approfondie : on en faisait un jeu et les habiles « joueurs de l'espée à deux mains » se donnaient en spectacle comme. dans les assauts d'armes de nos jours : « le suppliant se fust transporté à ung lieu près de Bayeux ouquel avoit grant nombre de gens assemblez pour ung jeu publique qui y estoit, cest assavoir de l'espée à deux mains. » Et encore : « le suppliant et plusieurs autres estans assemblez en nostre ville de Paris, en lostel de la Pie, près Saint-Gervais, pour aprandre à jouer et eulx esbatre du jeu de l'espée à deux mains soubz maistre Guillemet de Montroy » (lett. de rémiss. de 1426 et 1450, citées par du Cange, Gloss, au mot enfiludium).
La lame de l'épée à deux mains était large et d'égale largeur depuis le talon jusqu'à la pointe, et quelquefois même plus large à 1a pointe qu'au talon. Elle était toujours à deux tranchants, parfois seulement pour les deux tiers de sa longueur (Musée d'Artillerie, J, 149). Les quillons étaient toujours droits. Certaines épées à deux mains étaient d'une longueur prodigieuse. Messire Archambaud de Douglas se servait, à la fin du XIVe siècle, d'une épée « qui avait d'alumelle (de lame) deux aulnes et à peine la pouvoit un autre lever de terre. » (Froissart, liv. XI, ch. X).
Abbeville avait, au XVe siède, une fabrique d'armes renommée dont le poinçon était un A au milieu d'un double filet rond. Nous possédons une épée à deux mains, du milieu du XVe siècle, qui provient de cette fabrique. La longueur de la lame, de la pointe au talon, est de 1m 27c ; celle de la poignée, de la garde au pommeau, est de 0m 52c ce qui donne 1m 79c pour la longueur totale de l'épée : c'est une des plus courtes que nous connaissions et elle est au-dessous de la grandeur moyenne, ce qui, ajouté à sa date et à sa provenance, en fait une pièce fort intéressante. La lame, plate, est à deux tranchants jusqu'à 0m 8c de la garde et elle porte quatre gorges d'évidement sur la moitié de sa longueur : elle a 0m 05c de largeur au talon et 0m 04c à la pointe. Les quillons, droits, mesurent ensemble 0m 49c : ils sont ciselés en torsades à leur extrémité et terminés par des boutons pareils au pommeau, c'est-à-dire en forme de poire et taillés en pointe de diamants à leur partie supérieure. La garde est formée d'une tige de fer tordue en forme de 8 et elle a un grand développement. - L'épée à deux mains, à lame dite flamboyante, est postérieure et se rencontre surtout au XVIe siècle où on l'appelait flamard : cette disposition particulière avait pour but d'empêcher que l'on put saisir l'épée avec les mains. Cette arme, fort lourde et fort gênante, se portait en marche attachée derrière le dos par une courroie qui passait sur les épaules.
Était-ce la grande dague à laquelle on donnait le nom significatif de coppe-gorgias ou ganivète? car, dans la lutte, la mission de l'archer, une fois la mêlée engagée et ses flèches épuisées, était d'égorger les hommes d'armes démontés, abattus sous leurs chevaux et embarrassés par le poids de leurs armures.
Les arcs en bois d'if étaient, à ce qu'il parait, les plus estimés en 1446 : mais dans les siècles précédents on en avait fait en érable, en bois de viorne (Jean de Garlande) et en aubier (du Cange). Au milieu du XIVe siècle, l'archer était armé d'un petit arc à la Génoise, composé dune pièce de bois très-épaisse et très-courbée, et, par conséquent, avec une corde très-courte. La force de projection n'étant pas grande, il fallait tirer de très-près, et les archers français ou génois avaient un désavantage trop marqué contre les Anglais dont les arcs avaient six pieds de hauteur. Depuis 1350 donc l'arc français alla en s'agrandissant et dès les premières années du XVe siècle il avait atteint les mêmes proportions que celui des Anglais : à leur exemple, le bois d'if avait été préféré à tous les autres. Mais il était une chose que les archers français n'avaient pu emprunter à leurs voisins d'Angleterre, c'était leur adresse proverbiale à se servir de l'arc. Lorsqu'Édouard 1er partit pour l'Ecosse, en 1306, il avait avec lui de nombreux archers si adroits qu'ils perdaient rarement une de leurs douze flèches et disaient en plaisantant qu'ils avaient douze Ecossais dans leurs trousses. Ils s'exerçaient déjà à tirer les jours de fête et ne pouvaient viser un but éloigné de moins de deux cent vingt verges. On faisait peu de cas en Angleterre d'un archer qui ne tirait pas douze flèches à la minute et qui manquait un homme à deux cent quarante verges (Lingard, Hist. d'Angleterre). Du projet d'ordonnance sur les francs-archers élaboré par le bailli de Mantes et que nous avons déjà eu occasion de citer deux fois dans les notes qui précèdent, il résulte que les archers devaient avoir chacun au moins dix-huit flèches : les archers anglais, au XVe siècle, en portaient chacun vingt-quatre.
Les flèches étaient en bois de frêne, et empennées de plumes de poule, de paon ou de cygne : les carreaux d'arbalète, seuls, étaient empennés de fer ou de bois. Le fer des flèches a bien souvent varié de forme ou de longueur : il y avait « les saëtes, eslingues, passadouz, dardes, gourgons, songnoles, panons ou penons, raillons, barbillons (fers barbelés), paonnets, frètes. » Chacune de ces espèces tirait son nom de la forme du fer dont elle était armée, et qui était tantôt pointu, tantôt carré, arrondi, plat ou triangulaire. Il y avait des flèches dans le fut ou manche desquelles le fer était inséré : il y en avait d'autres au contraire dont le fut était inséré dans le fer : dans la plupart, le fer tenait fortement au fut ; mais, par un raffinement barbare, dans quelques-unes le fer y tenait si peu, qu'en arrachant la flèche on le laissait dans la blessure. - Au XVe siècle on mouillait de salive le fer afin d'envenimer les blessures faites par lui (Monteil). - La forme du fer décrit par notre manuscrit était la plus commune et la plus usitée. C'est celle dont on a retrouvé tant de modèles sur le champ de bataille d'Azincourt, dans les environs d'Abbeville, et dans toutes les parties du Ponthieu qui ont été le théâtre de luttes partielles ou de batailles rangées au XVe siècle ; le fût de la flèche était d'une grandeur considérable ; Lingard donne aux flèches anglaises une longueur moyenne d'un mètre. Notre manuscrit exprime un avis analogue en disant : « quatre palmes ou quatre palmes et demi, et plus. » La palme était l'espace compris entre le sommet du pouce et du petit doigt quand la main est étendue. Cette mesure, qui se nommait aussi « un espan, » peut représenter en moyenne de 0m 22 à 0m 24c. On comprend combien elle était variable puisqu'elle était déterminée par le plus ou le moins d'ouverture de la main. En admettant comme moyen terme 0m 23c par palme, c'est pour la flèche française une longueur de 0m 92c, de 1m 02c « et plus. » Il est à peu près certain que l'arc et les flèches suivaient la taille de l'archer.
Le caractère des nations ne saurait changer. Notre armée n'est-elle pas aujourd'hui telle que l'auteur de notre manuscrit la voyait en 1446. La furia francese est connue : on sait aussi combien nous sommes promptement démoralisés dans les revers.
L'auteur était un lettré, on le voit, et il sacrifiait au goût de son époque en allant chercher ses exemples dans les temps les plus reculés de l'antiquité. Le passage qui termine sa citation dénote un certain talent d'observation, une connaissance approfondie de ses contemporains. Il est seulement difficile de reconnaître Tarquin dans « Turcart ».
Il est évident que l'auteur avait pris la plume avec le projet d'écrire une Étude sur le Costume civil et militaire en France. Le courage lui a-t-il fait défaut ou a-t-il craint de s'égarer dans le dénombrement des étoffes et des colifichets féminins ? Ou bien enfin a-t-il trouvé au dernier moment que tout ce qui ne touchait pas de près ou de loin à la guerre n'était pas digne d'occuper les loisirs d'un gentilhomme ? Bref, il a pris un moyen terme et remplacé sa dissertation, comme il le dit lui-même, en faisant peindre, dans son manuscrit original, une miniature représentant le costume civil de 1446 à 1450. On ignore quelle fut la destinée de ce précieux monument, véritable ancêtre de nos journaux de mode modernes. Les copies sur lesquelles notre texte a été révisé sont presque contemporaines et appartiennent encore au XVe siècle, mais elles n'offrent aucune miniature. Il eut été facile d'y suppléer à l'aide d'autres manuscrits à vignettes de l'époque, mais telle n'est pas notre intention et nous imiterons la prudente réserve de l'auteur en nous renfermant avec lui dans la description plus noble du costume militaire de nos aïeux.
C'est-à-dire tout le timbre, toute la partie du heaume qui emboîtait le crâne jusqu'à la hauteur des yeux.
On conçoit quelles dimensions atteignait un heaume qui devait avoir en tous sens « trois bons doys » de plus que la tête elle-même, c'est-à-dire 0m 06c environ, en convertissant les mesures du moyen-âge en mesures modernes. La première pièce du heaume de tournoi est donc le timbre, qui, d'après notre texte, était fait d'un seul morceau, arrondi, mais seul et séparé des autres pièces qui vont suivre.
La vue du heaume était l'endroit par lequel on voyait à travers le heaume : on désignait sous ce nom les deux fentes horizontales qui correspondaient à chacun des deux yeux. La vue n'était ainsi que pour les casques de guerre, où elle était beaucoup plus étroite que dans les heaumes de tournoi, à cause des flèches et des carreaux d'arbalète. Les heaumes de tournoi, et cela résulte de notre texte même, n'avaient pour les deux yeux qu'une seule et même fente horizontale (voir la note 35).
C'est le mézail, ou autrement dit l'ensemble des pièces qui défendent le visage. Il correspond à la visière dans le bassinet, à la grande bavière quand on s'armait d'une salade sans visière ou d'un chapeau de Montauban (voir la note 3). Ce mézail avait, par rapport au timbre du heaume, une saillie de 0m 06 à 0m 07c. Il descendait assez bas sur la poitrine et pouvait presque tenir lieu de la moitié supérieure du plastron.
La largeur de la fente horizontale réservée pour la vue est ici de 0m 02c 1/2 environ. Nous avons eu occasion de la mesurer sur plusieurs armures de guerre du XVe siècle (de la fin, il est vrai), et nous l'avons trouvée partout et uniformément de 0m 00c 05m. Il y a, comme on le voit, une notable différence, fondée sur la nécessité de se garantir partout de la flèche ou du carreau de l'arbalète. Rien de semblable à craindre dans les tournois où le fer de la lance elle-même, ou rochet, avait la forme d'une tulipe. La longueur de la vue est donc, selon notre texte, de 0m 22 à 0m 24c, l'espan étant une mesure analogue à la palme, comme nous l'avons dit à la note 27. Dans les casques de guerre du XVe siècle, la vue, divisée en deux parties, avait plus ou moins de longueur selon la forme plus ou moins allongée de la visière. Les plus courtes que nous ayions observées avaient 0m 06c pour chaque il, 0m 12c pour les deux, c'est-à-dire pour la totalité de la vue, sans compter le fragment de nasal qui les réunit. - Il faut remarquer, d'après notre texte, que du côté gauche la vue était moins large et le bord du ventail plus en saillie que du côté droit. Cette disposition s'explique par la nécessité pour le jouteur de porter toute son attention sur la pointe de sa lance placée à droite et sur la lance de son adversaire qui le menaçait également du côté droit. C'est par suite du même principe que l'on ferme l'oeil gauche pour assurer le tir du fusil ou de la carabine.
La pièce du visage ou ventail était attachée au timbre du heaume des deux côtés de la vue. Notre texte explique que le ventail était posé sur le timbre et le dépassait des deux côtés de 0m 04c environ. C'est sur cet excédent, destiné à consolider la jonction des deux pièces, qu'étaient placés les clous ou rivets qui les attachaient l'une à l'autre. On poussait si loin les précautions que la tête de ces rivêts était tantôt arrondie, tantôt limée au niveau du fer, afin que le rochet ou fer de la lance ne rencontrât dans le heaume aucune surface plane, aucune partie saillante de laquelle le jouteur put se faire un point d'appui pour renverser son adversaire : car il ne fallait pas penser à le désheaumer puisque, comme on le verra plus loin, le heaume était solidement attaché à la cuirasse.
Le mézail, quoiqu'adhérent au heaume, avait, pour la longueur et pour la forme, beaucoup d'analogie avec la haute bavière, et il descendait à un bon travers de main au-dessous de la naissance du cou. Au lieu d'être carré du bas comme l'était souvent la bavière, il se terminait en pointe, un peu comme l'écusson héraldique du moyen-âge. Au lieu d'être plat, ce qui aurait été impossible, ou légèrement arrondi et dessinant le menton, comme la bavière, ce mézail descendait tout d'une venue des yeux en se rétrécissant un peu sur le cou, et il était partagé au milieu par une vive arête, toujours pour que la lance put glisser sur l'une ou l'autre face. Quoiqu'il se rétrécit sensiblement en approchant de l'épaule, ce mézail était loin de toucher le corps, et il en était encore éloigné de 0m 08c au bas du cou. En adoptant le doigt pour 0m 02c, nous aurions la mesure de la proportion dans laquelle le mézail se rétrécissait sur tout son développement. On a vu plus haut que le timbre dans toute son étendue, au niveau du sourcil même, était à « trois bons doiz » ou 0m 06c de la tête, qu'ensuite le haut du mézail, au-dessous de l'oeil, dépassait le bord du timbre de « trois bons doiz. » ce qui donnerait au mézail. à sa naissance, un écartement de 0m 12c du visage. En admettant que le mézail fut à 0m 06c du cou, nous trouverions que des yeux à la gorge il se rétrécissait de 0m 04c en tout, ce qui lui donnerait, à la vue, une saillie de 0m 08c sur tout le reste du heaume.
Le poids excessif de toutes les pièces de l'armure de joute obligeait à laisser d'autant plus de latitude à la respiration qu'une fois le heaume bouclé sur la poitrine et sur le dos il n'était pas facile de s'en débarrasser promptement, et qu'ensuite l'on n'avait pas, comme avec le bassinet, la ressource de lever la visière, ou, comme avec la salade, de se découvrir la tête. On arrivait à tourner cette difficulté en ménageant un beaucoup plus large espace pour la vue, qui servait en même temps à la respiration et en pratiquant sur le côté droit du mézail, à la hauteur et le long de la joue droite, des ouvertures dont le nombre, la dimension, la forme, enfin, paraissent avoir été déterminées par le goût du propriétaire de l'armure ou de l'ouvrier qui la faisait. Ce qui ne servait plus directement ou indirectement à la défense du jouteur était considéré comme accessoire, et il n'y avait plus d'autre règle que la fantaisie de chacun. C'est ainsi que, d'après notre manuscrit, ces ouvertures auraient été deux ou trois fentes perpendiculaires allant de la joue au collet ; tandis qu'en examinant au Musée d'Artillerie deux casques de tournoi du milieu du XVe siècle, nous avons observé sur l'un, à droite du mézail, une petite porte tournant sur une charnière et s'ouvrant et se fermant au moyen d'un ressort (H, 5) ; sur l'autre on remarque, à la hauteur des oreilles, deux fentes perpendiculaires qui donnaient l'air nécessaire en même temps qu'elles servaient à l'ouïe. Quelquefois, et le modèle que nous publions (voir l'armure de joute) en est une preuve, ces fentes affectaient des formes élégantes et présentaient une succession de carrés, de losanges, de trèfles, de coeurs, d'étoiles superposés et placés à des intervalles très-rapprochés, et dont la réunion formait une fente de la hauteur et de la largeur nécessaires.
Cette troisième pièce, à laquelle on doit donner le nom de couvre-nuque, complétait le heaume de joute. A l'inverse du mézail qui recouvrait le bord du timbre et était rivé sur lui, le couvre-nuque était recouvert par le bord du timbre : il partait de l'oreille, descendait sur le collet en se rétrécissant et en emboîtant la forme de la tête et du cou, mais toujours à 0m 06c de distance des parties qu'il était destiné à couvrir. A la naissance du cou il se développait en s'élargissant et garnissait les deux épaules sur une hauteur de 0m 06c environ. Cette pièce était la seule du heaume que l'on put faire et que l'on fit, sans aucun inconvénient, aussi légère que possible. Elle n'avait pas de fatigue et n'était pas exposée à être faussée, les atteintes de lance n'ayant lieu que par-devant.
Voilà donc le heaume de joute usité en 1446. Il se compose : 1° du timbre, pièce de fer légèrement cintrée qui couvre toute la tête jusqu'au niveau des oreilles et des sourcils ; 2° du mézail, rivé sur le timbre des deux côtés, contre l'oreille, et qui descend par-devant jusqu'à 0m 06c au-dessous de la naissance du cou ; 3° du couvre-nuque, rivé sous le timbre et le mézail, à la hauteur des oreilles, et qui, dessinant le cou, se termine en se déployant en éventail à 0m 06c au-dessous des épaules. La forme de ce heaume était telle qu'il n'y avait besoin avec lui ni de colletin de fer ni de gorgerin de mailles. Il était posé sur les épaules et maintenu en avant et en arrière par deux boucles, si le jouteur avait une brigandine, sinon en avant par des vis, et en arrière par une courroie : dans ce cas il se rapporte identiquement à celui que nous publions.
Les proportions exagérées du heaume, par rapport au reste de l'armure, avaient pour but de permettre au jouteur d'éviter les contusions causées par les chocs et de tourner librement la tête pour voir autour de lui. Il fallait enfin que le poids considérable du heaume reposât sur les épaules, car on n'aurait pu le porter sur la tête. C'est pourquoi on laissait 0m 06c d'intervalle entre la tête et le casque, sans compter que l'on n'y adaptait aucune garniture intérieure. Fait de trois pièces rivées ensemble, il devait donc être assez large au cou pour que la tête put y passer, et pourtant il avait à la naissance du cou 0m 08c de largeur de moins qu'aux yeux. On peut juger par là de ses proportions vraiment colossales.
Le Musée d'Artillerie ne possède que deux heaumes des tournois du milieu du XVe siècle, provenant de la collection Soltikoff à laquelle appartenait également la si curieuse armure de joute, pièce unique peut-être de cette espèce et surtout de cette époque, que nous avons fait reproduire afin d'aider à l'intelligence de nos développements. C'est assez dire la rareté des pièces de cette nature. Il est curieux de remarquer combien diffèrent de sentiment à cet égard notre manuscrit et le traité du roi René qui vivait pourtant à la même époque. Il n'y a aucune sorte d'analogie entre les armures de joute telles que chacun d'eux les décrit. Les deux heaumes du Musée d'Artillerie et l'armure gravée ci-contre subsistent comme de vivants témoignages de la parfaite exactitude de notre écrivain anonyme, tandis qu'il n'existe nulle part de pièces semblables à celles décrites par le roi René. Ceci nous paraît concluant et sans réplique en faveur de l'importance réelle de notre petit traité inédit et inconnu.
Le catalogue du Musée d'Artillerie (édit. de 1864) attribue une origine allemande aux deux heaumes de joute, H, 5, et H, 6. Leur analogie avec la description de notre manuscrit est telle que nous n'hésitons pas à contester cette nationalité, à les dire français et à leur assigner pour date le milieu plutôt que la fin du XVe siècle. La seule différence que l'on remarque dans le premier (H, 5) est que le ventail, quoiqu'ayant une ouverture à fermeture mobile, en forme de porte, vers la joue droite, s'ouvre lui-même en tournant sur une charnière placée à gauche, de manière à découvrir le visage du jouteur et à le laisser se rafraîchir à l'aise. Ce heaume porte encore au bas du ventail l'anneau dans lequel passait la courroie qui le maintenait attaché à la poitrine. Le second heaume (H, 6) est exactement celui de notre manuscrit. Il se compose de quatre pièces rivées ensemble : il a sur les oreilles les deux ouvertures pour donner de l'air, et il se fixait au plastron et à la dossière par deux charnières à goupilles. On verra que, malgré sa simplicité, ce heaume était encore susceptible d'une certaine ornementation et de quelqu'élégance. Dans celui que nous reproduisons comme type le timbre est cannelé et les points d'ajustement des pièces sont découpés en dents arrondies dont chaque extrémité porte un rivet à tête alternativement ronde et plate. Au sommet du timbre on remarque enfin une courte tige de fer destinée à supporter le cimier. Pour y voir distinctement devant soi, par suite de la disposition du mézail, il était nécessaire que le jouteur se penchât en avant.
L'écu de joute a un cachet d'originalité tout particulier : il ne se rapproche en rien de l'écu de guerre qui, d'ailleurs, à l'époque qui nous occupe, n'était plus que le partage à peu près exclusif du fantassin. La matière première de l'écu de joute était donc une épaisseur de 0m 02c d'un bois léger, mais ferré, tel que le tilleul, par exemple. Le bois était recouvert, sur ses deux faces, d'une épaisseur de cuir de 0m 02c, soit 0m 06c d'épaisseur totale, sur laquelle on appliquait extérieurement une véritable marqueterie d'os le plus dur que l'on pouvait trouver ou de la couronne de la corne de cerf, qu'à cause de cette qualité on employait pour faire les noix d'arbalète. Les pièces qui couvraient la superficie du bouclier étaient carrées et de la dimension d'une case d'échiquier : chacune d'elles était maintenue au centre par un rivet de fer. Notre dessin en donne une idée fort exacte : on y distingue parfaitement les joints des carrés d'os et les goupilles ou rivets qui les fixent. Le Musée d'Artillerie possède (I, 7 et 8) deux targes de joute analogues à celles décrites par notre manuscrit comme étant « les escuz à quoy on jouste en France. » Le n° 7 (voir les planches, n° 16) est entièrement revêtu de plaques d'os ; le n° 8 n'a que sa bordure en façon d'échiquier. Il faut donc admettre que le catalogue a fait erreur en les désignant sous le nom de targes allemandes. La description et l'autorité de notre écrivain leur restituent leur véritable origine et leur véritable époque.
Le texte de notre manuscrit, ordinairement très-facile à comprendre, s'obscurcit ici et nous allons essayer d'y apporter la lumière. L'écu de joute, fait comme on vient de le dire, doit avoir les proportions suivantes : il est destiné à couvrir le cavalier depuis « deux doiz de dessobz la veue du costé sénestre, » c'est-à-dire depuis 0m 04c au-dessous de l'il gauche jusqu'à un demi-pied plus bas que le coude. En calculant d'après les proportions moyennes du corps humain, cette distance pourrait être approximativement évaluée à 0m 65 ou 0m 70c : telle est donc la hauteur du bouclier. Quant à sa largeur, elle est de « trois espans ou trois espans et demy, » c'est-à-dire trois fois 0m 23c environ, ou en totalité 0m 70c. L'écu est échancré sur le côté droit et seulement depuis le milieu de sa hauteur jusqu'en haut pour recevoir la lance. Chez les uns cette échancrure a la forme et la dimension du bois de la lance ; chez les autres, et notamment dans le bouclier de l'armure que nous reproduisons, tout un côté de l'écu est légèrement évidé. L'écu est donc carré du côté gauche et en haut, évidé du côté droit et arrondi par en bas ; il est enfin assez concave pour que le centre soit plus rapproché de deux ou trois doigts du corps du jouteur que tout le reste. Cette circonstance n'était nullement due au hasard. Cette forme laissait plus d'aisance au bras gauche pour diriger le cheval, et permettait au jouteur de baisser la tête, puisque l'écu, par suite de sa contexture, ne touchait le corps que par son point central, à la hauteur du sein.
Il y a ici encore une phrase obscure et que l'on pourrait interpréter de plusieurs manières. Nous croyons avoir saisi sa véritable signification. L'écu était suspendu au cou du jouteur par une tresse, appelée « guige » par les écrivains d'une époque plus reculée. Après avoir entouré le cou du jouteur, cette tresse traversait l'écu « à ung demy-pied et trois doiz » du bord supérieur et retombait extérieurement en formant pour ainsi dire deux aiguillettes. Un coup-d'il jeté sur l'armure de tournoi en dira plus long que bien des descriptions : de sorte que, pour rapprocher l'écu de sa poitrine, il suffisait de tirer les tresses ou aiguillettes pendantes : si, au contraire, on voulait desserrer l'écu, il fallait seulement le tirer à soi. Il était néanmoins nécessaire que sa tresse fut assez fortement serrée dans les deux illets pratiqués au travers de l'écu pour que celui-ci ne glissât pas et ne quittât pas facilement la position qu'on lui avait fait prendre.
La cuirasse pouvait donc être analogue à celle de guerre. L'emploi du bouclier rendait inutile une plus grande épaisseur : pourtant, Jean de Bonifacio, gentilhomme italien, ayant mis pour jouter contre Jacques de Lalain, en 1446, « un léger harnoys de guerre, » dut s'en repentir, car son armure fut tellement faussée des coups que Lalain lui portait, qu'il fut en danger de perdre sa vie (Olivier de La Marche). Il arrivait donc plus fréquemment qu'il y avait deux sortes d'armures bien distinctes, celle de guerre et celle de joute, qu'il était plus prudent de faire servir seulement à l'usage auquel elles étaient destinées. On n'avait aucune répugnance à acheter des harnais de joute d'occasion, même les plus grands seigneurs : la duchesse d'Orléans, par exemple, fit acheter à Bourges, en 1455, une armure de joute que Bertrand du Parc y avait mis en gage (Catal Jourfanvault). La signification du mot « voulant » nous échappe.
C'est ici seulement, et sur ce seul point, que notre manuscrit est d'accord avec le texte du roi René. Ce dernier dit en effet que « peut-on bien tournoyer en brigandines qui veut. » La brigandine, pièce importante de l'armure défensive, était très-usitée au moyen-âge et surtout au milieu du XVe siècle. Nous ne nous arrêterons pas à rechercher, comme on l'a fait souvent, si la brigandine a donné son nom aux soldats qui portaient ce vêtement militaire ou l'a reçu d'eux. Notre but n'est ni d'étudier les étymologies ni d'approfondir les origines : nous n'avons qu'à constater ce qui existait en 1446, sans rien voir au-delà. Or, voici ce qu'était la brigandine :
Un vêtement de toile épaisse et résistante ou de cuir sur lequel étaient clouées des écailles de fer, disposées à recouvrement comme celles d'un poisson, et rivées une à une. Ces écailles étaient ensuite recouvertes d'une autre toile épaisse, quelquefois de cuir, servant de doublure à la dernière étoffe extérieure qui était en drap, en velours ou en soie, piquée ou brodée, au gré ou selon la fortune du personnage qui la portait : « ilz porteront brigandines come brigandines de jouste, couvertes de telles couleurs de drap quilz vouldront, soit drap de soye ou de layne, clouées de clox dorez et grox ou menus, selon la plus ancienne faczon que chascun les vouldra » (Merlin de Cordebeuf, déjà cité voir la note 63). Telle est donc la contexture de la brigandine : une première toile ou un cuir, les écailles de fer ou d'acier, une seconde épaisseur de toile et enfin l'enveloppe extérieure. On a prétendu que la brigandine n'était portée au XVe siècle que par les gentilshommes trop pauvres pour acheter une cuirasse dont la brigandine tenait lieu. Nous renvoyons le créateur de ce système aux miniatures du temps, notamment à celles du beau Froissart de la Bibliothèque Impériale, exécutées au milieu du XVe siècle et donnant, par conséquent, avec une scrupuleuse exactitude, les moindres détails du costume militaire à cette époque : il y verrait les courtisans autour du trône, les généraux, les personnages importants que le peintre a voulu représenter, revêtus indistinctement de la brigandine ou de la cuirasse. Peut-on, d'ailleurs, avec un peu de réflexion, établir, comme prix ou comme main-duvre, un parallèle entre la cuirasse, fut-elle même en trois pièces, et la brigandine avec chacune de ses écailles rivées séparément et qui, à ce travail compliqué, joignait la façon et la piqûre d'un triple vêtement dont le dernier était une casaque de velours. Assurément non, la brigandine n'était pas pour les gentilshommes l'économie d'une cuirasse ; c'était, au contraire, l'ornement des gens d'armes riches, car la brigandine n'apparaissant qu'à la partie supérieure de sa poitrine, lorsqu'on avait l'armure complète, rompait élégamment par ses vives couleurs et ses broderies l'uniformité sévère du harnais blanc de pied en cap.
En résumé, la brigandine, dont nous avons expliqué la composition, avait à peu près la forme d'une cuirasse. Elle n'avait pas de manches, s'ajustait sur le buste qu'elle dessinait, serrait la taille à la ceinture et s'arrêtait à la naissance des cuisses. Pour l'archer ou pour l'arbalétrier elle était moins ajustée et un peu plus longue, mais toujours serrée à la taille. On la mettait comme un gilet et on la boutonnait ou on la laçait avec une aiguillette sur la poitrine, tandis que la brigandine de tournoi était toujours lacée sur le côté droit ou mieux encore le long de l'échine du dos. Dans certain cas l'archer portait sur la brigandine la pansière ou demi-plastron de fer attaché à la ceinture et terminé en pointe sur l'estomac : parfois il avait aussi une dossière de même forme. L'homme d'armes, armé à blanc et de plein harnais, quand il portait la brigandine, n'avait également que la pansière et la demi-dossière. On voit dans les miniatures du Froissart déjà cité de nombreux exemples de ce fait, et beaucoup de personnages armés de toutes pièces et revêtus de brigandines de couleurs éclatantes sous la pansière d'acier. Chez le cavalier, dans ce cas, la brigandine n'est apparente que sur la partie supérieure du buste. Les épaulières se bouclent à la brigandine et il arrive parfois aussi que sur la patte de la pansière se trouve une boucle à laquelle correspond une courroie rivée au colletin de la bavière vissé lui-même sur les pièces de fer qui, sous le velours ou le drap, forment le corps de la brigandine (voir les planches, n° 13).
On conservait en 1499, dit l'inventaire dressé le 23 septembre de la même année, à « l'armeurerie du chasteau d'Amboise, » la brigandine de Talbot « couverte de veloux noir tout usé » et encore « unes vieilles brigandines longues, couvertes dung vieil drap dor rouge, le haut fait en façon de cuirasse et le bas en lemmes dacier, et ung bort de sade fermé à boucle au costé gauche. » Il est utile d'expliquer, avant d'aller plus loin, que la brigandine attribuée à Talbot avait pu lui appartenir, mais qu'à coup sûr il ne s'agissait nullement de celle qu'il portait à la bataille de Castillon où il fut tué, car Mathieu d'Escouchy a soin de nous apprendre qu'elle était « couverte de velours vermail. » Mais, pour ne parler que des brigandines que nous avons vues, maniées et étudiées à loisir, nous citerons avant tout celle que l'on conserve au Musée du Grand-Duc, à Darmstadt, et qui affecte exactement la forme et les proportions d'une cuirasse : elle n'a pas de manches et se ferme sur la poitrine au moyen d'un lacet passant dans une rangée d'illets. Cette brigandine, recouverte de velours rouge, est constellée extérieurement d'un semis de rivets dorés disposés en longues lignes perpendiculaires sur la poitrine et sur le dos, et dessinant au cou des croix et des rosaces à la ceinture. L'armature intérieure consiste, pour la poitrine et pour le dos en écailles, et pour les côtés en triangles superposés. Chacune des écailles portant pour estampille une fleur de lis, on en a conclu que cette brigandine était de fabrication française (voir les planches, n° 11.) Les écailles, en acier pur, ont été étamées pour les préserver de la rouille produite par la transpiration du corps. Le Musée d'Artillerie conserve trois brigandines entières du XVe siècle, et quelques fragments .d'une quatrième de la même époque. La première (G, 125) était recouverte en soie noire dont on voit encore des fragments à la tête des rivets qui, non-seulement traversaient les écailles, mais encore tout le vêtement, et servaient à orner l'extérieur, comme on vient de le dire. La deuxième (G, 126) était couverte de velours rouge (voir les planches, n° 11). Dans le trophée G, 128, on remarque un fragment de brigandine couvert de velours vert et parsemé extérieurement de clous de cuivre. Le n° 1417 du Musée de Cluny, enfin, est une brigandine à écailles de fer, doublée de velours et cloutée de cuivre. L'avantage de la brigandine était de se prêter à tous les mouvements du corps, tout en garantissant contre les blessures aussi bien que la cuirasse dont elle était loin d'avoir la rigidité ; mais elle avait aussi un grave inconvénient, causé par sa flexibilité même, celui de céder sous les chocs violents d'un fer de lance ou du pommeau d'une masse d'armes, par exemple, et de faire des contusions à celui qui en était revêtu. A tout prendre, l'usage de la cuirasse était certainement beaucoup plus avantageux.
L'arrêt de la lance, désigné aujourd'hui sous le nom plus moderne de faucre, n'est autre chose qu'une pièce de fer, tantôt droite, tantôt courbée, solidement vissée au côté droit de la cuirasse contre laquelle elle se relève au moyen d'une charnière ou d'un ressort, afin que l'homme d'armes, quand il a rompu sa lance, ait les mouvements du bras droit entièrement libres pour pouvoir manier fon épée. Il faut remarquer, dans l'armure de joute que nous publions, le long appendice dont le faucre était garni et qui, en passant sous le bras, se prolonge jusque derrière le dos. La lance, couchée dans cette longue rainure de fer, devait être maintenue beaucoup plus facilement en arrêt, et le jouteur n'avait pour ainsi dire plus qu'à guider le fer. Avec l'armure de guerre où le faucre n'était qu'un simple crochet à la cuirasse, il fallait déployer une grande force et une grande adresse pour y coucher et y maintenir horizontalement la lance. Notre texte dit qu'il n'y avait pas pour le faucre de règle fixe et que chacun le faisait faire à sa fantaisie.
La buffe, buffa (Gloss. de du Cange) était la partie du casque qui couvrait les joues.
Malgré leurs développements, ces deux paragraphes se résument en un seul point, à savoir : que sur la brigandine ou sur la cuirasse, à l'endroit de l'estomac, se trouvaient deux boucles, l'une à droite, l'autre à gauche, correspondant à deux autres boucles attachées sur la patte ou partie inférieure du heaume ; dans ces boucles passaient deux tresses ou courroies faites de trois épaisseurs de cuir piquées ensemble, et tendues de façon à ce que le heaume ne quittât pas sa position sous les coups de lance, et ne put s'approcher des joues ni les froisser. La distance qu'il y avait entre le heaume et le visage était une précaution de plus qui achevait de rendre efficace l'emploi de ces courroies tendues.
Ce passage prouve que l'écu n'était pas suspendu au cou par la courroie, mais à un crampon de fer rivé sur la cuirasse ou la brigandine à un doigt plus bas que la jointure du bras à l'épaule, c'est-à-dire à 0m 05 ou 0m 06c au-dessous de l'épaule gauche. Autour de ce crampon était roulée la tresse qui traverse l'écu en se divisant en deux aiguillettes et retombe en dehors, comme on l'a expliqué à la note 43. La poire dont parle le texte est une petite tige de fer qui sort du crampon et maintient l'écartement de l'écu à cet endroit à 0m 02c du corps, de sorte qu'il repose sur cette poire au lieu de toucher directement la poitrine du tournoyeur. Ce que nous avons dit à la note 43 de l'usage de suspendre l'écu au cou, n'en subsiste pas moins malgré cette phrase de notre texte, car nous en avons trouvé maints exemples dans des miniatures contemporaines. Cela prouve seulement qu'il y avait deux manières de le porter. Le crampon s'appelait aussi « pontelet, là où la poire se boute pour atacher lescu » (Merlin de Cordebeuf. Voir à la fin de la note 63).
Rien de plus simple et de plus facile à comprendre que ceci. De même qu'il est maintenu à une certaine distance du visage par deux courroies attachées à la poitrine, le heaume est encore maintenu par-derrière par une courroie bouclée entre les deux épaules. Sans cette précaution, le ventail du heaume étant très-épais et beaucoup plus lourd que tout le reste, aurait entraîné par son poids le heaume en avant, et il serait arrivé que la vue descendant plus bas que les yeux, le jouteur serait devenu subitement aveugle. Pour ôter le heaume, il fallait déboucler trois courroies dont une placée dans le dos, et le jouteur ne pouvait donc se passer de l'aide d'un valet.
La « main de fer » que l'on remarque dans notre armure de joute se composait d'un gantelet rigide, qui ne se pliait pas et qui emboitait étroitement la main en la dépassant de quelques centimètres. Il était forgé d'une seule pièce avec l'avant-bras. Nous possédons un modèle de cette pièce d'armure, d'un beau type et d'un poids très-considérable ; il appartient à la seconde moitié du XVe siècle et se rapporte entièrement à la description de notre texte. Le miton de joute, pour lui donner son nom moderne, était garni d'une lame de fer en forme d'éventail qui couvrait la saignée du bras. Il était indépendant du brassard d'arrière-bras et portait par-dessous une petite boucle à laquelle était attachée la courroie dont parle notre texte et qui servait à le suspendre au côté gauche de la cuirasse. Quand donc le jouteur se reposait, il laissait tomber le miton et avait alors tout l'avant-bras et la main gauche entièrement désarmés. Le Musée d'Artillerie possède, sous le n° G, 307, un miton de joute en fer noirci.
L'arrière-bras gauche, depuis le coude jusqu'à l'épaule, était armé d'un garde-bras, sorte de petit bouclier d'une seule pièce, qui couvrait le bras, l'épaule, la jointure du bras au corps et formait comme un second écu de fer sous l'écu de joute. Le garde-bras s'engageait par-dessus la main de fer au coude et la dépassait de quelques travers de doigts. Dans l'armure de joute qui nous sert de type et que nous publions, le garde-bras est remplacé par une rondelle de plastron qui couvre l'aisselle gauche, et par une épaulière d'une seule pièce et un brassard d'arrière-bras fait de six lames à recouvrement dans le même genre que ceux des armures de guerre. Ces deux pièces, la main de fer et le garde-bras, formaient donc l'armure entière du bras gauche dans l'armure de joute, en 1446.
Nous n'avons trouvé nulle part ailleurs la désignation de ce gantelet qui devait être un miton semblable à ceux des armures de guerre, à l'exception que le canon ou revers, au lieu de se terminer en pointe sur l'avant-bras, s'arrêtait probablement carrément autour du poignet, comme on le remarque dans la plupart des armures maximiliennes. Du Cange, au mot gagnagium, traduit gagnepain par une sorte d'épée particulière aux tournois. Notre texte, et, une phrase de Merlin de Cordebeuf qui dit que le gantelet droit était plus court et composé de plus de lames que le gauche, démontrent jusqu'à l'évidence l'erreur dans laquelle l'illustre savant est tombé. Quant à « l'épaule de mouton » ou tout simplement au brassard de l'avant-bras droit en forme d'épaule de mouton, aucune description ne pourrait en donner une idée satisfaisante ; il faut voir cette pièce singulière dans l'armure de joute que nous reproduisons. Ajoutons seulement qu'au lieu de figurer un demi-cercle au coude, il en était, ainsi que le prouve une miniature d'une histoire de Jehan de Saintré conservée en Angleterre (Cotton. Mss. Nero, D, IX) qui décrivaient un cercle complet, de manière à simuler une véritable rondelle. Le seul but de cette pièce d'armure était de couvrir la saignée, quand le bras était plié, pour tenir la lance en arrêt. L'usage en aurait été impossible pour combattre avec toute autre arme que la lance, à moins d'avoir une autre défense pour la saignée, et, dans ce cas même, l'aile de l'épaule de mouton aurait-elle été un véritable obstacle aux mouvements du bras. C'est pour obvier à cette difficulté que Merlin de Cordebeuf recommandait aux chevaliers errants de porter une « espaulle de mouton dont celle sera plus courte, gentillette et moins nuysible que faire se pourra. »
Pour l'armure de l'arrière-bras droit, notre armure-type est parfaitement conforme à la description de notre texte. C'est le brassard d'arrière-bras de l'armure de guerre avec la rondelle de plastron d'une plus grande dimension, et avec cette différence que dans l'armure de guerre la rondelle était fixe, tandis qu'ici elle est mobile et se lève ou se baisse à volonté de manière à venir s'emboîter, grâce à l'échancrure pratiquée à sa partie inférieure, sur le fût de la lance, sans que, à cause de ses grandes proportions, elle cesse de couvrir l'aisselle droite. A son pas d'armes contre Jean de Bonifacio, Jacques de Lalain parut avec trois rondelles sur son armure « l'une sur la main, l'autre sur le coude du bras de la bride, et l'autre tenant au grand garde-bras, en manière d'écu » (Oliv. de la Marche). Au pas d'armes de l'arbre Charlemagne, le 11 juillet 1443, le seigneur de Charny portait une rondelle sur laquelle son adversaire rompit sa lance (Oliv. de la Marche). Ce qui prouve que la rondelle n'était certainement pas une pièce inutile ou un vain ornement. Les explications contenues dans cette note et les trois notes qui précèdent donnent donc la nomenclature exacte et complète de l'armement des bras et des épaules dans les armures de joute employées en France au milieu du XVe siècle.
Le roi René dit aussi « les harnois de jambes sont ainsi et de semblable façon comme on les porte à la guerre, sans autre différence, fors que les plus petites gardes sont les meilleures ; » cest-à-dire que les ailerons des genouillères, qui, dans les armures de guerre, étaient très-développés, le sont moins dans les armures de joute. Notre texte ne fait pas cette distinction.
« Estacheures » pour attachures ; atachia (Du Cange, gloff.) gallicè clavulus, petit clou. « Quiconque veult estre atacheur à Paris, cest assavoir faiseur de cloux pour clouer boucles, mordans et membres sur courroyes » atache, id est agrafe, fibule. Les « estacheures » sont donc les boucles, et il s'agit ici de boucles destinées à empêcher le harnais de remonter par la force des coups et à le maintenir par en bas à sa place.
La discrétion de notre auteur nous parait tout-à-fait hors de saison et pour le moins assez extraordinaire. Ne savait-on pas comment il fallait s'y prendre pour attacher solidement le bas de son harnais de joute ? Était-ce donc un mystère qu'il était imprudent de révéler au vulgaire ?
Nous imiterons l'exemple qui nous est donné par notre auteur, et, comme lui, nous diviserons en plusieurs paragraphes ce que nous avons à dire de la lance. Dans la hampe de la lance on distinguait quatre parties : 1° la poignée resserrée entre deux renflements pour préserver et assujettir la main ; 2° le pied, au-dessous de la poignée, qui était plus gros qu'elle et se terminait en pointe ; 3° les ailes, renflement du bois au-dessus et au-dessous de la main, à chaque extrémité de la poignée ; 4° la flèche, c'est-à-dire tout l'espace compris entre les ailes et le fer, et qui va toujours en diminuant. La lance était ordinairement en bois de frêne, qui était raide et léger : on en faisait pourtant aussi en pin, en tilleul, en sycomore et en tremble. La lance dite de paix ou courtoise, qui servait pour les joutes, ne différait alors de celle de guerre que par la forme du fer : « ronde et légière, » dit Merlin de Cordebeuf (voir à la fin de la note 63). Jusqu'en 1340 environ la lance avait été partout d'égale grosseur et avec un fer court ; à cette époque il se fit dans la fabrication de cette arme une révolution complète : le fer s'allongea et s'aiguisa de manière à ressembler à un poignard. La lance devint alors le glaive, nom sous lequel Froissart la désigne habituellement, en faisant remarquer que les fers les plus estimés étaient ceux de Bordeaux, de Poitou et de Toulouse. La longueur du bois de la lance varia entre douze et quatorze pieds, « du rocquet que xi piés jusqu'à larrest, » selon Merlin de Cordebeuf ; mais la longueur réglementaire, d'après notre texte, était, pour la lance de joute, de treize pieds depuis le fer jusqu'à l'arrêt ou grappe, c'est-à-dire jusqu'à l'endroit où elle reposait dans le faucre. En évaluant à deux pieds ce qui dépassait le faucre, cela donnerait à la lance, fer compris, une dimension totale de quinze pieds.
En même temps que le fer s'allongeait, la flèche devenait plus épaisse et s'élargissait toujours depuis le fer jusqu'aux ailes. A cet endroit on adapta dès lors une rondelle de métal d'un plus ou moins grand diamètre qui servait de garde et protégeait la main et l'avant-bras bien plus efficacement que n'auraient pu le faire les ailes. On conçoit combien une arme semblable devait être difficile et embarrassante à manuvrer. L'habitude contractée par les chevaliers, à la fin du XIVe et pendant la première moitié du XVe siècles, de combattre à pied, avait déshabitué du maniement de la lance : « entre Bourguignons, dit Philippe de Commines, en 1460, lors estoient les plus honnorés ceux qui descendoient (de cheval) avec les archiers et toujours s'y en mettaient grande quantité de gens de bien. » Aussi n'y eut-il rien d'étonnant à ce qu'à la bataille de Montlhéry, selon le même chroniqueur, « de douze cents hommes darmes environ qui y estoient, y en eut cinquante qui eussent sçu coucher une lance en arrêt. » On ne rencontre guères de lances dans les collections publiques ou particulières : le Musée d'Artillerie n'en possède aucune. La seule que nous connaissions, d'une superbe conservation, fait partie de notre cabinet : c'est une lance de joute du commencement du XVIe siècle.
On donnait le nom de rochet au fer de lance usité pour les joutes, et de lance de rochet à celle qui était armée de ce fer. Il se composait, ainsi que l'explique notre texte, de trois pointes placées en triangle sur une plaque de fer et espacées de 0m 04 à 0m 05c au plus. Lorsque les pointes étaient trop rapprochées, le fer devenait, à ce qu'il paraît, plus dangereux et on faisait difficulté de l'admettre pour les joutes : « et l'autre fut un fer à quatre pointes fort closes (peu écartées) et luy fut dit qu'il n'étoit pas commun à faire armes, ne passable devant juge n'en champ clos » (Tournoi de Jacques de Lalain et de Jean de Bonifacio, en 1446 Olivier de La Marche). Il y avait des fers plus inoffensifs qui avaient la forme d'une tulipe ou d' « une platine de fer plate, à trois têtes de clous gros et courts en façon de diamants » (Pas d'armes de la Fontaine de Pleurs, à Châlons-fur-Saône, en 1449 Oliv. de La Marche). Un fer de cette espèce n'avait d'autre action que celle qu'aurait eu l'extrémité du bois de la lance. La lance courtoise dont Merlin de Cordebeuf recommande l'usage aux Chevaliers errants, devait être terminée ainsi : « au lieu de rochet, y aura boeste de fer à trois grains dorge gros corne trois petiz doiz, et ne seroient point daciez ne trempez, mais bruniz et les plus clers qu'on les pourra faire. »
Afin d'empêcher la lance de glisser dans le faucre sous l'effet du choc produit par la rencontre des jouteurs, on garnissait la partie de la hampe qui y reposait de petits morceaux de fer, gros comme de petites noisettes et taillés en pointe de diamant : c'est ce que l'on appelait « grappe, » sans doute parce que ces pointes donnaient à la hampe quelqu'analogie avec une grappe de raisin garnie de ses grains. L'intérieur du faucre étant doublé de bois tendre ou de plomb, l'adhérence de la grappe était complète, et le cavalier, supportant tout le choc, pliait fortement en arrière et quelquefois même était renversé sur la croupe de son cheval ; mais la lance s'était brisée sans reculer dans le faucre.
La rondelle de la lance a subi au moyen-âge diverses modifications, et ses dimensions ont varié fréquemment. Tantôt elle couvrit la main, tantôt la main et le bras. A la fin du XVe siècle, dans les tournois, elle était devenue une espèce de bouclier et couvrait même l'épaule. En 1446, la rondelle de lance n'avait pas besoin d'être aussi développée. Par suite du perfectionnement de l'armure du bras droit et de la rondelle mobile du plastron qui descendait sur la lance, on n'avait besoin que de garantir la main qui se trouvait ainsi emboîtée entre la rondelle de la lance et celle de l'épaule. La rondelle de lance n'avait donc alors, selon notre texte, que « ung demy pié » de diamètre, c'est-à-dire 0m 16c environ. Elle était en acier et doublée intérieurement, du côté de la main, d'un matelas de bourre feutrée de trois doigts d'épaisseur, cousue entre deux cuirs.
L'expression de « faultre, » dont on a fait faucre, pour désigner l'arrêt de la lance, n'est pas aussi moderne, on le voit, que quelques personnes ont bien voulu le dire. On disait déjà, au milieu du XIVe « mettre lance sur faultre, » ainsi que le prouvent plusieurs poèmes cités par du Cange dans son Glossaire, aux mots fautrum et feltrum.
Ceci prouve une fois de plus que l'action de tenir la lance en arrêt était très-fatigante.
Il est, comme pour l'armure de guerre, quelques points que notre manuscrit a passés sous silence, sans doute parce qu'ils étaient élémentaires et trop connus de tous pour que lon pensât à les enseigner ou à en faire matière à de nouvelles dissertations. C'est d'abord l'armure du cheval pour la joute : le roi René nous apprend que « les selles de guerre sont bonnes pour tournoyer quand elles sont bien fort closes par-derrière, et ne veullent pas estre trop haultes d'archon devant. » Le cheval était enveloppé d'un caparaçon d'étoffe plus ou moins riche, orné des armes du tournoyeur, de sa devise ou de ses emblèmes, peints ou brodés. On en trouvera une infinité d'exemples et de descriptions dans les curieux mémoires d'Olivier de La Marche. Le cheval avait en outre un chanfrein en acier ou en cuir bouilli. Le vêtement que portait le jouteur sous ses armes était extrêmement simple. Voici ce qu'on lit à ce sujet dans un très-curieux Traité des Tournois, inédit, écrit par Antoine de La Salle au mois de janvier 1458, et que nous publierons prochainement. Les tournoyeurs s'enfermaient, dit-il, dans une salle « où fera grant feu, car les behours requièrent le temps plus froit que plus chault pour le grand travail qui y est ; là sont jusques aux petit draps despoillez tous nudz (c'est-à-dire déshabillés jusqu'à la chemise) ; lors le maistre et ses plus suffisans varletz leur mectront ung demy pourpoinct de deux toilles, sans plus, et du faulx du corps en bas qui sera par devant laschié, et à celuy leurs chausses atacheront ; et après chausseront leurs esperons, et puis le bel harnoys de jambes luy armeront ; après les armeront de garde-braz et avant-braz, et quant est des jambes et des braz armez, ilz arment le corps, et après le chief. »
Le travail qui précède donne donc une idée complète du costume de guerre et de joute que portaient les Français au milieu du XVe siècle. Il y avait encore, curieux vestiges d'un autre âge, quelques chevaliers errants dont le costume offrait des particularités assez remarquables pour que Merlin de Cordebeuf ait songé à les réunir sous le titre de : « L'Ordonnance et matière des Chevaliers errans. » Cest ce petit traité très-court et entièrement inédit que nous publions ci-après. Il complétera d'une manière satisfaisante, nous l'espérons du moins, notre étude sur le Costume militaire des Français en 1446 :
« Cy-après sensuit par chapitres l'Ordonnance et manière des Chevaliers errants, comme je, Merlin de Cordebeuf, me suis pensé estre chose de grant bruit et de grant plaisance pour esbatre les seigneurs, princes, chevaliers et escuiers de ce royaulme.
» Et premièrement la faczon des armes de leurs personnes. Secondement, celles de leurs chevaulx. Tiercement, la faczon de leurs lances, escuz et espées.
» Et pour la première partie des armeures de corps desdiz chevaliers, cest assavoir quilz porteront brigandines comme brigandines de jouste, couvertes de telle couleur de drap quilz voudront, soit drap de soye ou de layne, clouées de clox dorez et grox ou menuz, selon la plus ancienne faczon que chascun les vouldra diviser ; et aura, ladicte brigandine, larrest plus court, légier et plus despeschant dassez que ne sont ceulz de la jouste.
» Item, y aura deux boucles davant en la poitrine pour lacer le heaume, dont celle de la main gauche sera pour la buffe et une aultre derrière.
» Item, ny aura point de crampon ou pontelet là ou la poire se boute pour atacher lescu, car il n'y en fault point pour les raisons qui sont ci-après déclairées.
» Item, dessus larrest hault y aura ung aileron ballant guères ung peu plus long que large ataché sobz les couroves de ladicte brigandine sur lespaulle droite et ung pareil à lespaulle sénestre darrière lescu à la faulte du petit garde-braz, et seront pains ou brodez pareillement de telle faczon comme sera lescu et selon lancienne faczon.
» Item, le bras destre sera armé par la faczon qui sensuit : premièrement le garde-braz sera de petites lametes couvertes de la couleur de ladicte brigandine, ou non couvertes au plaisir et voulunté du porteur. Et desobz portera len en lieu davant-braz lespaulle de mouton dont lelle sera plus courte, gentellette et moins nuysible que faire se pourra.
» Item, le braz sénestre : et, pour abréger, sera armé tant de garde-braz comme de avant-braz, ainsi comme pour combatre à pié, et sur toute bien fauldra adviser que la garde dudit avant-braz soit plus petite quen ce monde len pourra faire, et la moins nuysible, pour ce quil fauldra que lescu repose tousjours dessus, comme plus après me orrez diviser.
» Item, quant à gantellet, il sera pareil de celui de la main dextre, sinon qu'il ne sera pas si court, ne de tant de lames, si on le vieult.
» Item, le harnoys de jambes et de pie, il sera fait de chausses de maille ou de flandresques destaille pour estre plus agée et mieux ressembler lancienne faczon, sinon endroit le genoil, ou quel endroit y aura, ung poullain fait de blanc harnoys, ainsi que plus à plain le sauvay bien diviser.
» Item, et pour armeure de teste portera len tout premièrement en lieu de garnitures de heaume ung petit chapperon juste pourpointé et remply de coton, fait de toille ou bougrain dedens et dehors ; et dedens sera brodé ou fait dorfaverie en faczon de harnois de maille, et aura ledit chaperon pate de III ou V bons doiz tout alentour pareillement pourpointé et emply de coton, qui sera ataché en quatre lieux sur le pourpoint, cest assavoir davant et darrière, et sur les deux espaulles à petites aiguillettes, ou aultrement comme chascun vouldra mieulx à sa plaisance, et servira à ceste dite pate aux espaulles à supporter le ses de ladicte brigandine et armeures de braz, car il sera dessobz les armeures et sera tout juste le long de la teste et du manton et boutonné le long de la gorge ou lacé en manière quon le puisse metre hors de la teste. Et le laissez et prendre darrière touttes foiz quon vouldra.
» Item, ledit heaume sera comme bacinet à visière de jouste, sinon endroit la joue du cousté droit où il sera pertuysé, ou sénestre en pluseurs lieux, mais nullement ne sera garny dedens qui ne vouldra, car ledit chapperon servira de garniture, et sera ledit heaume fait en toutes faczons et la forme et manière quil est paint ci dessobz, tout dune venue ou autre faczon plus ancienne et aisée qui mieulx le saura diviser, et pourra len lever la visière touttes fois quon vouldra.
» Item, lescu sera en faczon propre descu ancien, non pas comme escu de jouste, mais de maintenant, et sera longuet de bas et se portera au coul come une targe, et y aura ung bout dun demy pié de long de tresse ou de cuir bas en la main de la bride, et oultre tout ce y aura pour sen aider deux paires denguisthures, une pour pendre au coul, à cheval, et une aultre pour metre le bras pour combatre à pié, comme par une pavoysine ; et sera couvert ledit escu paint ou brodé de armes ou devises comme plus à plain fera divisé cy après.
» Item, seront les chevaulx houssez à la plus anticque faczon que ce pourra faire, au divis et plaisir d'un chascun chevalier.
» Item, les selles seront selles de guerre dont len pourra defcendre et monter seul sans aide qui vouldra, et ne auront aultre avantage ni différance des aultres selles si non que le hourt et ventrains davant seront les plus longs des cuisses et jambes quil se pourra faire pour garantir le choc, et seront lesdictes selles armées de fer et couvertes de cuir ou dautres choses, ainsi que on vouldra.
» Item, et ne portera len gaires les esperons plus longs que de quatre doiz ou cinq doiz, affin quilz ne nuysent point pour combatre à pié. Et tous les aultres chevaliers et escuiers de ceste queste pourront porter esperons dorez.
» Quant aux estriesz, ils seront à lancienne faczon ou aultrement comme mieulx il plaira.
» Item, la lance sera comme une lance de guerre, ronde et légière, à arrest de cuir, et, en lieu de rochet, y aura boeste de fer à trois grains dorge gros comme troiz petiz doiz, et ne seroient point daciez ne trempez, mais seront bruniz et les plus clers quon les pourra faire : et n'auront les lances du rocquet que xi piés jufques à larrest, et y pourra len metre, quant on vouldra joufter, une rondelle courante, la plus légière et la plus gente quon pourra faire.
» Item, les espées seront de trois ou quatre doiz de large apointées, esmossées et taillans rabatuz, et en seront les pomeaulx et croisées droiz, et faiz à la plus ancienne faczon que on les saura diviser, et aura l'alemelle de longueur de la croisée jusques à la pointe deux piés ou quatre doiz, ou deux piés et demy, ainsi quil semblera pour le meilleur de lune des deux mesures, et sera len lesdittes espées légières d'alemelle et pesantes de pomeau, si qu'on en puisse donner cop qui grève ou face mal. »
FIN